Un nouveau traité de sécurité européen à l’échelle continentale : chaînon manquant de la sécurité européenne face à l’émergence du monde multicentré

21 janvier 2016 0 Par Pierre-Emmanuel Thomann

Un évènement d'une grande importance géopolitique s'est produit du 8 au 10 juillet 2015 dans l'indifférence générale des grands médias au sein de l'Union européenne. Le premier sommet conjoint des BRICS et de l'organisation de Coopération de Shanghai (OCS) à Ufa dans l'Oural en Russie a rassemblé des États représentant presque moitié de la population mondiale. (OCS membres : Russie, Chine, Inde, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan, partenaires de dialogue : Biélorussie, Sri Lanka, Turquie,  Observateurs : Afghanistan, Inde, Iran, Mongolie, Pakistan) BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Ce lieu, une ville dans Oural à cheval entre Europe et Asie, était en lui-même significatif et symbolise les processus géopolitiques marqués par l'émergence de nouveaux centres de pouvoir et d'alliances parallèlement aux plus anciennes issues de la période de la guerre froide comme l'OTAN, l'Union européenne et l'OSCE.

Ce sommet fut l'occasion d'un élargissement de l'assise territoriale de l'OCS, avec l'approbation du processus d'adhésion de l'Inde et du Pakistan, l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont devenus observateurs, tandis que l'adhésion de l'Iran sera examinée après la levée des sanctions décidées à l'ONU. Les membres du SCO  ont aussi négocié des synergies sur le projet de nouvelle route de la Soie initié par la Chine,  les questions énergétiques et les questions de sécurité et terrorisme.  Les BRICS ont pour leur part décidé de créer une nouvelle banque de développement (New Development Bank) et un fond de réserve pouvant être mobilisés comme alternative à la Banque mondiale.

Ce sommet est aussi d'autant plus significatif qu'il a eu lieu dans une période de tensions renouvelées entre l'Union européenne et les États-Unis d'une part, et la Russie qui fait l'objet de sanctions et d'une tentative d'isolement international, comme une exclusion du G8, depuis la crise Ukrainienne.

Cet évènement, ainsi que les décisions prises à cette occasion, soulignent l’évolution géopolitique actuelle de l’espace mondial vers la multipolarité, c'est à dire un éparpillement géographique des sources de pouvoir avant tout étatiques mais aussi infra-étatiques (régions ou territoires séparatistes) ou supra-étatiques (alliances ou organisations internationales). Il en résulte un processus de morcellement et de recomposition des territoires et de la géographie politique. À l’inverse de la guerre froide caractérisée par une désignation claire de l’ennemi et un monde divisé en blocs antagonistes, les rivalités et possibilités d’alliances sont aujourd’hui plus diverses et précaires dans le monde multipolaire en formation

Dans ce contexte, la montée en puissance potentielle des BRICS, de l'Organisation de Coopération de Shangani (OCS), mais aussi de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC, créé par la Russie sur les questions de sécurité ) ,porte en germe la fracturation du continent européen si la coordination et la coopération entre ces alliances émergentes et les plus anciennes ne sont pas abordées par les États membres de l'Union européenne, par indifférence ou par volonté absurde de rejet.

Logiques d'équilibre

Pourtant, des scénarios alternatifs existent pour promouvoir la stabilité mondiale et éviter de nouvelles fractures irrémédiables. Dans ce monde multicentré, l’ajustement entre projets géopolitiques concurrents et la stabilisation des aires de friction entre les pôles de puissances oscillant entre rivalité latente et coopération pourra difficilement être réalisé autrement que sur le principe de la balance de forces. C’est un préalable à une négociation entre pôles pour pérenniser la stabilité et favoriser le développement de valeurs communes. Avec la réduction croissante des moyens, le principe de resserrement géographique autour de son environnement géopolitique immédiat est aussi une réponse au problème de sur extension, selon une stratégie de concentration des actions et d’économie des moyens.

La tâche principale pour les acteurs centraux de la multipolarité est l’endiguement des conflits locaux ou régionaux et des acteurs transnationaux hostiles susceptibles de perturber la stabilité plus ou moins précaire entre pôles dominants et relatifs.

En décalage par rapport à cette évolution, la plupart des États-membres et les institutions européennes font le pari d’un monde régit par le droit en s’appuyant de manière trop exclusive sur le rôle stabilisateur des interdépendances économiques, la promotion des droits de l’homme et l’élargissement de la démocratie à partir de l’exemple européen. Les États-membres de l'Union européenne, de plus en plus préoccupés par les crises multiples auxquelles ils ont à faire face, perdent de vue l'évolution du monde et la nécessité de peser sur le grands équilibres géopolitiques en évolution.

Une revalorisation des logiques d’équilibre ancrées dans l’archéologie stratégique européenne serait pourtant adaptée à la configuration géopolitique d’un monde de plus en plus multi-centré. La doctrine de l’équilibre a été en partie oubliée au profit d’une doctrine d’élargissement de la démocratie, mettant l’accent sur une discrimination entre pays démocratiques et dictatures.

Pour une Union européenne aux finalités réformées, exploiter les potentialités que lui offre la géographie suggère un positionnement comme facteur d’équilibre à la charnière des espaces géopolitiques euro-atlantique, euro-asiatique, euro-méditerranéen et africain et euro-arctique avec une hiérarchisation des priorités par zone géographique. Les États-Unis et la Russie sont les clés de la sécurité et de la puissance mondiale pour l’Union européenne afin d’amorcer une stratégie organisée selon ses axes maritimes et continentaux. Cette dernière option ne peut pas être valorisée dans un enfermement stratégique, en particulier vis-à-vis de l’espace euro-asiatique.

La priorité serait de parachever un espace de sécurité de Vancouver à Vladivostok qu’une nouvelle architecture de sécurité entre Union européenne et Russie viendrait compléter. La stabilisation de cet espace est nécessaire afin de faire face aux déstabilisation provenant de l'arc de crise au Sud du continent eurasien et qui s'installent dans la durée et de permettre une identification des intérêts communs.

Un nouveau traité de sécurité euro-continental

Un nouveau traité de sécurité européen à l'échelle eurasienne, est donc la chaînon manquant de la sécurité européenne dans le contexte de l'émergence du monde multipolaire, et face au risque de fissure entre les alliances euro-atlantiques, et les alliances naissantes en Eurasie.

On pourrait imaginer la négociation d’un nouvel espace de sécurité euro-russe de Lisbonne à Vladivostok (un nouveau traité de sécurité européenne) comme sous-ensemble de l’espace de sécurité de Vancouver à Vladivostok avec l’Union européenne en position de pivot-charnière, articulé avec la Russie en pivot-charnière voisin de l’Union à l’intersection de l’espace euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok (Otan et OSCE), celui de Lisbonne à Vladivostok (UE), l’espace de Saint-Pétersbourg à Pékin (OCS)  et celui de Minsk à Douchanbé (OTSC) (. Les espaces de chevauchement entre ces structures entrelacées, feraient l’objet d’équilibres négociés par le biais de synergies entre l’OTAN, l’UE, l’OSCE, l’OTSC, l’OCS, à l’occasion d’un « nouveau congrès de Vienne ». En parallèle de cette initiative, la consolidation de l’OCS et l’OTSC irait dans le sens d’une plus grande stabilisation de la multipolarité.

En termes institutionnels et opérationnels cela signifierait : négocier un nouvel accord de sécurité européenne comme cela avait été proposé par le président russe Dimitri Medvedev en 2009 ; réactiver l’idée d’un comité politique et de sécurité UE-Russie, qui avait été proposée par la chancelière allemande le 5 juin 2010, et reprise par le triangle de Weimar ; favoriser des opérations conjointes de gestion des crises dans les interstices des zones d’intérêts prioritaires entre Union européenne et Russie. Un nouveau traité de sécurité européen à l'échelle continentale, en instaurant la confiance entre les nations du continent eurasien par des mécanismes de consultation et de coopération, pourraient aborder les crise ukrainiennes et syriennes et toutes leurs conséquences. Ce traité permettrait ainsi de faire revivre le concept d'espace de sécurité de Vancouver à Vladivostok qui avait été  proposé par les Allemands lors de adapté à la situation géopolitique actuelle. sa nouvelle Ostpolitik avant la crise ukrainienne, éviter la formation de nouvelles fractures continentales, et stabiliser le continent par un nouveau maillage institutionnel.