Poursuite de l’élargissement de l’OTAN à marche forcée dans les Balkans : quel intérêt pour les Européens ?

22 novembre 2015 0 Par Pierre-Emmanuel Thomann

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Pendant que les Européens sont confrontés à une succession de crises graves pour leur sécurité immédiate et future comme les attentats de Paris et la crise migratoire, d’autres évènements attirent moins l’attention. S’ils apparaissent comme secondaires, ils n’en sont pas moins importants du point de vue de la géopolitique européenne.   

Il en est ainsi que la question de l’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Le pays s’est vu offrir  l’adhésion au MAP (programme de préparation) en décembre 2009 et pourrait se voir invité en décembre 2015 à devenir membre. Ce processus ne fait pourtant pas l’unanimité pour la population monténégrine. Des manifestations de citoyens se sont produites en octobre dernier contre le gouvernement mais aussi contre l’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Les populations se souviennent de bombardements de l’OTAN alors que le Monténégro faisait partie de la Yougoslavie, et se méfient d’une orientation géopolitique trop marquée vers l’espace euro-atlantique.

Quelle est la valeur ajoutée pour la sécurité européenne à poursuivre l’élargissement de l’OTAN en Europe? On ne voit pas bien quel pourrait être le gain de sécurité alors que les attentats de Paris ont clairement démontré que la menace principale était la menace intérieure en Europe et l’Etat islamique en Syrie/Irak. De plus, le gouvernement français a d’ailleurs demandé à ses partenaires de l’Union européenne de mettre en œuvre la clause de défense de l’Union européenne (42.7) et non pas l’article V de l’OTAN. Un appel à l’OTAN n’est pas considéré comme pertinent face aux menaces prioritaires actuelles.

De plus, faire un bilan de la situation serait aussi nécessaire après le démantèlement de l’ex-Yougoslavie suite à l’implication de l’OTAN. Le soutien à bout de bras par l’Union européenne de toutes les entités étatiques non viables sans aide extérieure comme la Bosnie et le Kosovo (il faut noter que les Albanais de ce territoire émigrent en masse vers l’Allemagne) et les difficultés économiques et politiques des pays comme la Macédoine et le Monténégro soulignent un bilan plus que mitigé pour l’UE et l’OTAN. Ceci est totalement occulté. La « rebalkanisation » de la péninsule qui a largement été attisée par l’OTAN et l’Union européenne pendant de longues années s’avère être un obstacle à la stabilisation de cette zone, comme la crise migratoire l’a encore démontré.

À qui bénéficie cet élargissement à marche forcée de l’OTAN au Monténégro alors que cela abouti à des oppositions fortes dans la population ?

Ce processus correspond en réalité largement à des intérêts géopolitiques extérieurs : la vision géopolitique de l’Europe au prisme des intérêts des Etats-Unis qui cherchent à cristalliser la balkanisation provoquée par le démantèlement de l’ex-Yougoslavie. Il s’agit de parfaire le détachement du Monténégro de la Serbie, définitivement couper l’accès direct de la Serbie à la mer, et parachever l’encerclement de la Serbie et renforcer la domination euro-atlantiste. L’objectif est donc en faire des Balkans une zone d’influence exclusive des Etats-Unis et leurs allié euro-atlantistes pour éviter l’interférence d’autres puissances à l’avenir. Elle prépare aussi l’adhésion à l’Union européenne qui est dans la même logique avant que le pays ne change éventuellement d’avis sous la pression de sa population qui critique à nouveau de plus en plus les politiques de l’Union européenne et de l’OTAN.

Il faut pourtant bien reconnaître que le même costume ne va pas à tout le monde. En l’occurrence, l’adhésion à l’OTAN ne convient plus à tous les Etats en Europe.

Alors que l’adhésion à l’OTAN des Etats européens de l’Ouest était adaptée lors de la période de la guerre froide car la menace était identifiée, elle n’est pas adaptée aujourd’hui au Monténégro car la guerre froide n’est plus d’actualité, et la menace a changé de direction et de nature. Ceci malgré la crise Ukrainienne qui a été provoquée par les erreurs des stratégies euro-atlantistes et la perspective de l’élargissement de l’Ukraine  à l’OTAN. L’élargissement de l’OTAN au Monténégro n’apporte pas de valeur ajoutée à la sécurité européenne, mais risque d’augmenter les fractures politiques internes du pays, et la fracture avec son environnement régional si la Serbie n’adhère finalement pas à l’OTAN, malgré la direction affichée du gouvernement actuel serbe. Le Monténégro n’a pas les moyens d’offrir un supplément de sécurité via l’OTAN aux autres membres en Europe confrontés à la menace interne de l’Islam radical.

Dans une situation géopolitique où les priorités sont réévaluées et où la menace islamiste touche toute l’Europe incluant les Balkans, chercher à faire pression sur la Serbie n’est pas utile. La Serbie a joué le rôle de rempart contre l’empire ottoman dans l’histoire, et elle est susceptible de jouer le même rôle de rempart face à la montée de l’Islam radical (L’Islam radical dans les Balkans été renforcé par les interventions de l’OTAN dans les années 90 au Kosovo et en Bosnie, s’est ensuite estompée, mais redevient une menace avec le départ de djihadistes en Syrie).

Cet élargissement, ne correspond pas aux priorités de sécurité des Européens. et envoie au delà, un mouvais signal à l’ensemble des nations du continent européen. L’argument invoqué est la poursuite de la stabilisation des Balkans. En réalité cette adhésion pourrait bien ne pas avoir l’effet escompté alors que les Balkans doivent devenir un pont entre l’Ouest et l’Est du continent européen et non une zone de confrontation Est-Ouest.

La coordination entre l’élargissement de l’OTAN et l’élargissement de l’Union européenne  comme cela fut la règle lors des grand élargissements de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale où la règle non dite préconisait comme préalable à l’adhésion à l’Union européenne, celui de l’OTAN, tend à faire de l’UE, une agence civile de l’OTAN. Cela nuit au développement autonome de l’Union européenne en matière de défense et de sécurité. Cette manière de procéder avec l’adhésion du Monténégro à l’OTAN confirmerait cette règle non dite et porte préjudice au projet européen qui devrait se construire de manière autonome. Le message envoyé aux puissances extérieures mais voisines de l’Union européenne est une subordination des intérêts de l’Union européenne aux intérêts de l’OTAN. Cela risque de renforcer les méfiances réciproques alors que dans le contexte géopolitique actuel, les différents nations sur tout le continent eurasien ont intérêt à faire face à la menace islamiste radicale provenant de l’arc de crise au sud de l’atlantique à l’Afghanistan.