G7 : l’impensé géopolitique des Européens est abyssal

G7 : l’impensé géopolitique des Européens est abyssal

A l’issue du G7 qui s’est terminé par un embarrassant échec, que peuvent faire les Européens ? Les gouvernements des Etats européens participants au G7 (ils sont tous membres de l’UE mais le Royaume-Uni est sur la voie du Brexit pour 2019)  ne peuvent pas faire grand chose pour rétablir la situation, car ils sont en réalité divisés, malgré la communication politique qui donne l’illusion de l’unité, notamment sur la posture à adopter face à Donald Trump. De plus,  ils n’en ont pas la volonté politique car ils ont eu trop longtemps une attitude de soumission géopolitique vis à vis de leur allié principal, les Etats-Unis. L’impuissance des Européens au G7 résulte d’un impensé géopolitique dans le nouveau monde multipolaire

Angela Merkel et Emmanuel Macron sont aussi prisonniers de leur idéologie européiste, libérale, multilatéraliste et pro-globalisation « à l’ancienne » qui fait désormais figure d’exception dans ce nouveau monde multipolaire.  Les rapports de puissance et d’équilibre priment désormais par rapport à  la vision utopiste d’un monde régit par le droit international. L’Union européenne est basée sur une vision multilatéraliste qui ne pouvait s’imposer que dans un monde unipolaire porté par les Etats-Unis, eux-mêmes  largement à l’origine de cette idéologie après la Seconde guerre mondiale et surtout après la Guerre Froide, lorsqu’ils en occupaient le centre.  L ‘Union européenne s’était positionnée comme un sous-ensemble de l’espace euro-atlantique dominé par l’OTAN, avec les Etats-Unis comme chef de file et garants cet ordre global. L’élection de Donald Trump marque l’éloignement des Etats-Unis de cette posture pro-globalisation et l’Union européenne perd donc ses fondements et son soutien principal. L’Allemagne de Merkel n’est pas en mesure de  remplacer les Etats-Unis pour soutenir l’ordre ancien (que l’on défini aussi comme la démocratie libérale), ni à l’échelle mondiale, ni dans l’UE, notamment en raison de la nouvelle rivalité géopolitique franco-allemande issue des rivalités de pouvoir sur les finalités européennes. Si Macron et Merkel semblent pourtant s’accrocher à l’idéologie de ce monde ancien, le nouveau chef du gouvernement italien est par contre sans doute l’Européen le plus proche de la vision du monde de Donald Trump parmis les Etats fondateurs du projet européen. Les pays du groupe de Visegrad soutiennent déjà largement Donald Trump.

Malgré leurs protestations vis à vis des décisions unilatérales de Donald Trump, les gouvernements européens ont été jusqu’ici incapables de les contrer de manière crédible par des décisions concrètes. En ce qui concerne les mesures protectionnistes  sur l’acier, les rétorsions commerciales de l’UE ne sont pas symétriques car les membres de l’UE espèrent encore  sauvegarder leur vision multilatéraliste au sein de l’OMC, et ne veulent pas mettre en danger leur accès au marché américain dont ils sont devenus trop dépendants.  Ils sont de plus divisés sur l’intensité de la réplique en raison des intérêts différents.  Les Allemands, dans le prolongement de leur adhésion  idéologique au libre-échange, mais aussi de leurs intérêts commerciaux,  ne veulent pas engager de guerre commerciale avec les Etats-Unis pour ne pas risquer d’aggraver les mesures contre leurs exportations automobiles. Les Français, qui étaient favorables à une réponse plus ferme, sont bloqués dans un alignement systématique avec l’Allemagne pour donner l’illusion d’un couple franco-allemand uni, alors même que la France pâtit aussi du déséquilibre commercial vis à vis de l’Allemagne, aggravé depuis l’adoption de  l’Euro.

En ce qui concerne l’Iran, par manque de volonté politique et impuissance collective,  ils n’ont pas non plus pris de mesures fortes susceptibles de prolonger l’accord nucléaire sans les Etats-Unis.  Les grandes entreprises européennes,  allemandes et françaises, sont trop dépendantes du marché américain, dont l’importance dépasse largement celui de l’Iran. Les Allemands et les Français restent aussi très timorés face à l’utilisation de l’euro pour remplacer le dollar dans leurs échanges avec l’Iran, de peur de provoquer une guerre commerciale plus grave avec les Etats-Unis. La France conçoit l’euro comme un facteur de puissance, tandis que pour les Allemands, c’est un instrument pour faciliter avant tout leur insertion dans la mondialisation, et s’accommodent du privilège du dollar comme monnaie internationale.  Ils ne partagent pas les mêmes finalités.

Angela Merkel et Emmanuel Macron, prisonniers de leur politique de sanctions vis à vis de la Russie qui ne fonctionne pourtant pas, et de leur méfiance croissante vis à vis du  président américain, ont aussi refusé de prendre en considération, la suggestion de Donald Trump de réintégrer la Russie pour revenir au G8. Ce retour de la Russie aurait pourtant permis de renforcer la position européenne sur l’Iran pour contrebalancer les Etats-Unis. Seul un axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin serait crédible comme contrepoids aux Etats-Unis sur cette question. Paradoxalement, la présence de la Russie aurait peut-être permis à Donald Trump et Vladimir Poutine d’amorcer un rapprochement durable, et d’esquisser les contours d’un nouveau concert des puissances mondiales. L’impensé géopolitique des Européens de l’UE, est ici abyssal

Les gouvernements européens participants au G7 ont donc subi une double humiliation: il avaient finalement cédé et entériné les sanctions commerciales des Etats-Unis puisqu’ils avaient signé un document commun sans y faire référence, tout en condamnant de manière incantatoire le « protectionnisme », mais Donald Trump a finalement retiré sa signature du document.

En ce qui concerne les aspects plus positifs, le gouvernement d’Angela Merkel a tenu bon pour maintenir le projet de gazoduc Nord Stream II qui profitera à toute l’Europe et ses entreprises énergétiques, afin de maintenir un lien fort avec la Russie qui est le fournisseur énergétique principal et fiable de toute l’Europe.

L’impuissance des Européens au G7 est une conséquence de leur incapacité à penser le nouveau monde autrement que par des paradigmes obsolètes et donc inévitablement incapables aussi de s’insérer dans la balance mondiale, mis à part « sauver les meubles » à court terme, sans construire de stratégie commune à plus long terme. On l’a dit,  les gouvernements des Etats-membres de l’UE, notamment l’Allemagne et la France, sont encore influencés par l’idéologie de la globalisation issue du siècle dernier alors que les pays initiateurs de ce cycle, les Etats-Unis et le Royaume-Uni  s’en éloignent, avec un retour de l’unilatéralisme des Etats-Unis de Donald Trump et le Brexit. Les Etats-Unis ont toujours agi de manière unilatérale, mais les décisions n’allaient pas frontalement à l’encontre des Etats-membres de l’UE. L’UE est désormais sanctionnée par les USA et la sidération est aujourd’hui totale et paralyse les membres de l’UE.

Sans volonté géopolitique, les Européens sont donc amenés à s’aligner sur les Etats-Unis en espérant de manière illusoire qu’ils arriveront toujours à tirer leur épingle du jeu.  Par léthargie stratégique, ils se satisfont aussi d’un rôle de plus en plus périphérique. L’Union européenne est pourtant trop étriquée géographiquement et coincée dans des normes utopistes qui sont mises à profit par ses ennemis islamistes (la Convention européenne des droit de l’Homme notamment) pour pouvoir peser dans un monde régit par les rivalités géopolitiques et les rapports de puissance. L’immigration de masse, si elle n’est pas jugulée  va fragmenter les nations européennes et accélérer les conflits de civilisation avec l’islam politique.  La démographie, si elle n’est pas relancée de manière endogène, va renforcer le problème précédent et risque de faire disparaître les Européens de l’histoire comme entité civilisationnelle.

La réforme du projet européen, sous la forme d’un élargissement de leur horizon géopolitique pour atteindre une taille continentale est la seule voie qui permette au Européens de pallier à la fragmentation et l’affaiblissement inéluctable de l’UE. L’avenir, du point de vue de la rationalité westphalienne, basée sur l’équilibre des puissances, réside dans l’organisation d’un espace de sécurité et de prospérité de Brest à Vladivostok, débordant sur la Méditerranée et l’Asie centrale, mais selon des alliances souples. Les Européens, à partir de leur position géographique, devraient se connecter plus fortement avec l’Eurasie, notamment avec la Russie, la Chine et l’Asie centrale.  Pendant que le G7 dérive vers l’obsolescence,  l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS),  se renforce. Les mouvements de fragmentations/recompositions géopolitiques s’accélèrent. Les Européens ne peuvent pas rester à l’écart de ces évolutions. Cette approche pourrait être compatible avec une clarification des intérêts communs  avec les Etats-Unis, en composant avec la vision plus instinctive de Donald Trump, qui anticipe la multipolarité, et l’accélère selon un processus auto-réalisateur qui fonctionne d’autant mieux que les puissances  désignées comme rivales par les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ce nouveau paradigme.  Il semble prêt à s’orienter vers un espace euro-atlantiste plus inclusif et flexible  incluant la Russie, pilier oriental de l’occident, lorsqu’il aura surmonté plus largement les réticences d’une partie de son administration, encore accrochée comme certains Européens au monde ancien. L’UE, si elle ne suit pas le nouveau balancier géopolitique planétaire, sera la variable d’ajustement du nouveau monde, qui est une lutte de répartitions des espaces géopolitique, sur terre, air, mer, espace, cyber espace.

A long terme, L’UE va probablement survivre, mais sera éventuellement relativisée par des initiatives plus restreintes et flexibles (notamment sur la défense comme l’initiative européenne d’intervention), selon plusieurs cercles qui se chevauchent, de l’initiative bilatérale au cadre continental, idéalement de manière articulée. L’intégration ne serait plus la voie privilégiée, mais les projets communs et concrets dépourvus d’arrière pensée intégrationniste comme seule finalité.  L’équilibre géopolitique, la préservation des nations et la mise en valeur de traits communs de civilisation européenne deviendrait le nouveau paradigme  pour remplacer l’intégration de type fédérale qui est depuis longtemps une impasse. l’UE à l’image du monde évolue vers une configuration plus multicentrée. Penser le prochain cycle post-UE, pour ne pas dériver vers l’insignifiance  géopolitique, serait nécessaire mais reste très difficile aujourd’hui, on l’a dit, par absence de volonté politique, les désaccords sur les priorités issues des déséquilibres internes.

L’enjeu majeur est désormais le suivant: combien de temps les Européens pourront-il encore  reporter la refonte du projet européen face aux crises qui vont s’accumuler sans qu’aucune des crises précédentes n’aient pu être résolues de manière définitive? La marginalisation par étapes de l’UE sur la scène internationale par incapacité de se renouveler, en plus de sa fragmentation interne inéluctable est donc le scénario tendanciel. Si les Etats membres de l’UE se satisfont d’une position de plus en plus périphérique à la remorque des Etats-Unis privilégiant leurs propres intérêts, l’Europe de l’UE est engagée sur la voie du pire scénario. Cette situation est aggravée par une posture de plus en plus incantatoire et masquée par des artifices de communication pour créer l’illusion de l’unité et endormir les citoyens dans un confort illusoire Les crises internes et externes plus graves encore seront alors l’aiguillon pour une adaptation géopolitique brutale et idéalement salvatrice. Le pire n’est pas toujours sûr.