Le torpillage du budget de la zone euro et les enjeux escamotés du plan de relance européen

Le torpillage du budget de la zone euro et les enjeux escamotés du plan de relance européen

La disparition du budget de la zone euro

 L’annonce du plan de relance européen porté par la commission européenne pour contrer la crise économique issue de la pandémie Covid-19  a donné lieu à des commentaires élogieux vis à vis de l’Union européenne.

Les enjeux géopolitiques sous-jacents, notamment les dernières évolutions de la nouvelle rivalité de pouvoir entre la France et l’Allemagne depuis l’introduction de l’euro ont pourtant été entièrement escamotés.

Derrière le brouillard de la communication ou chaque État interprète les propositions de la commission en fonction de ses revendications, émerge le sens de la manœuvre de la  présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen.  Le plan de relance européen a masqué un élément important,  le torpillage du budget de la zone euro, c’est à dire l’arrêt du  processus d’autonomisation de la zone euro par rapport à la grande Europe des 27.

Il y a tout lieu de penser que cet effacement n’est pas un effet collatéral, mais l’une des cibles du plan de relance de l’Union européenne.

Le  gouvernement français et ses relais médiatiques ont pourtant cherché à  faire croire à une victoire des  idées françaises. Le  plan européen en négociation n’est pourtant pas à l’avantage de la France.

Si l’on se penche sur la réponse européenne à la crise économique liée à la pandémie du coronavirus, la France est à nouveau est en situation asymétrique vis à vis de l’Allemagne. L’Allemagne est l’étalon de la France pour chaque crise. On voit bien que face au coronavirus, où la performance de l’Allemagne est déjà considérée comme nettement meilleure, c’est à nouveau le cas. La solution traditionnelle pour la France est une fuite en avant dans l’intégration de l’union économique et monétaire pour espérer contrebalancer l’Allemagne par plus d’Europe. Ce faisant, elle maintient le couple franco-allemand au centre du pouvoir dans l’UE mais la relation franco-allemande devient de plus en plus asymétrique en faveur de l’Allemagne.

 Avec le plan européen en négociation, il apparait que la France va être la perdante des arbitrages. A la suite de la proposition franco-allemande, la commission européenne a dévoilé son propre plan reposant en réalité largement sur les conceptions allemandes.

Tout d’abord, le projet de budget de la zone euro auquel tenait la France va disparaitre[1] et c’est un plan de relance au niveau de l ‘UE des 27, priorité de l’Allemagne qui va s’imposer.

Il faut rappeler l’enjeu initial. Le renforcement de la zone euro était central pour la France et notamment pour le président français Emmanuel Macron dans le cadre de ses propositions européennes au début de son mandat. Son objectif était de faire émerger un gouvernement économique de la zone euro avec un budget spécifique, et même un parlement[2]. Il est vrai que le projet de budget de la zone euro  faisait l’objet de négociations difficiles. A l’occasion de  l’élaboration des plans de relance de la commission européenne et les différents instruments juridique associés, ce projet de budget de la zone euro a tout simplement été classé sans suite.

 

Les modalités du budget de la zone euro faisaient l’objet d’une négociation entre membres de la zone  euro avant la pandémie. L’instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité (BICC) de la zone euro[3] n’était doté que de 17 milliards, bien peu en comparaison des sommes du  nouveau plan de relance. Ce budget anémique de la zone euro avait fini par être accepté par l’Allemagne en 2019[4].

Avec la disparition du budget de la zone euro, masqué par la nouveau plan de relance, cette  priorité qui avait une forte dimension géopolitique n’a visiblement plus été défendue par la France.

Plusieurs décennies d’efforts de la diplomatie Française depuis l’introduction de l’euro pour promouvoir la zone euro comme centre de gravité croissant du pouvoir au sein de l’UE, en concurrence avec l’Allemagne qui  a toujours préféré l’échelle de l’UE à 28 (27 avec Brexit) ont été annihilés. Les présidents français précédents, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient déjà échoué dans leur volonté de rééquilibrage géopolitique de l’Union européenne selon cette voie.

C’est un enjeu qui est passé totalement inaperçu dans la presse française. Les médias ont par contre insisté sur une soi-disant conversion de l’Allemagne aux idées françaises de mutualisation des dettes et de solidarité. Qu’en est t-il vraiment ?

L’illusion de la mutualisation des dettes pour opérer un saut fédéral

 Dans l’UE, il y a deux camps qui se font face, à l’image de la crise de l’Euro en 2010 : France, Italie, Espagne, Portugal, Irlande, Grèce, Belgique, Luxembourg, Slovénie qui plaident pour plus de solidarité (et moins de contreparties en termes de réformes structurelles) et ceux qui sont opposés à plus d’aides (mais veulent aussi plus de contreparties) l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, le Danemark. Certains pays d’Europe centrale et orientale estiment aussi être lésés par le projet de plan de relance de la commission européenne au profit des pays du Sud de l’UE.

Pour répondre à l’insistance de la France et des pays du Sud, opposés à la vision des pays du Nord pour renforcer la solidarité européenne, l’Allemagne a accepté un plan de relance européen permettant à la commission européenne d’obtenir directement des prêts sur les marchés financiers, mais pour mieux neutraliser les  « coronabonds » qui proposaient une plus grande mutualisation des dettes.  L’Allemagne  refuse logiquement la dérive de l’UE vers une « Union de transferts financiers » (Transferunion en Allemand) que la France est soupçonnée de promouvoir pour financer les pays du Sud de l’UE. Par contre les Allemands sont favorables à un centre intégrateur porté par l’UE dont elle domine de plus en plus les institutions, afin de préserver ses priorités.

Le montant du plan de relance européen reste relativement modeste vis à vis du PIB de l’UE. Il est de plus temporaire et lié à la crise actuelle. Le budget de l’UE à long terme renforcé pour la période 2021-2027 s’élèverait à 1 100 milliards d’euros. Le nouvel instrument de relance  Next Generation EU serait doté d’un budget de 750 milliards d’euros, pour permettre d’augmenter le budget de l’Union grâce à de nouveaux financements levés sur les marchés financiers pour la période 2021-2024. C’est en réalité peu par rapport  au  PIB de l’UE qui s’élevait à 15 908 milliards d’euros en 2018. L’Allemagne a un PIB/an de 3 130 milliards d’euros, suivi par la France avec 2 157 milliards d’euros, l’Italie 1 793 milliards d’euros, et l’Espagne 1 313 milliards d’euros. Selon la Commission européenne, les pertes liées à la crise s’élèveront à €720 milliards, éventuellement jusqu’à€1200 milliards d’euros, tandis que la marge de manœuvre financière supplémentaire du  plan de relance représenterait 750 milliards ( Next Generation UE).

Dans le plan de relance de la commission, la mutualisation des dettes, c’est à dire la nouvelle possibilité pour la Commission de contracter des dettes[5]  mise en avant dans les médias comme un saut intégratif, est aussi ambigüe.

La possibilité pour la commission européenne de lever des emprunts sur les marchés sera  garantie par les États en fonction de leur poids dans le budget de l’UE. Cela signifie aussi que les remboursements seraient effectués par les États dans la limite de leur poids économique. Il n’y a pas de responsabilités croisées des États membres vis à vis de l’intégralité des dettes, c’est donc assez limité.

Il n’y a donc pas de différence majeure avec le Mécanisme européens de stabilité (MES) où les dettes doivent être remboursées en fonction de l’apport dans le capital et non pas le poids  économique des États. Au final, la différence n’est pas si grande puisque les États qui ont un poids économique plus important fournissent aussi la plus grande part de capital dans le nouveau fond de relance.

Si le remboursement était effectué par la création d’un nouvel impôt européen ou d’une taxe aux frontières (par exemple les produits ne respectant pas les normes environnementales), il est douteux de croire que cela suffirait pour rembourser les sommes empruntées. On peut aussi penser que la création de nouvelles taxes ou un impôt européen est illusoire car les États membres auront des difficultés à se mettre d’accord.

De plus, il  s’agit de contracter des dettes de manière temporaire liées à la crise sanitaire.  C’est une condition pour l’acception par l’Allemagne et les pays du Nord du principe, même modeste, de mutualisation des dettes.  Il est donc abusif de parler de « moment Hamilton ou de « communauté de destin des dettes » comme de nombreux idéologues du fédéralisme européen. Les fédéralistes espèrent évidemment que ce nouveau mécanisme sera renforcé à l’avenir, car chaque crise fut en effet dans le passé l’occasion de poursuivre d’un cran l’intégration. Il est trop tôt pour le dire, mais on remarque que chaque crise est d’une nature différente et le saut fédéral n’a toujours pas été réalisé.

L’union politique souhaitée aussi comme couronnement du processus d’union économique et monétaire est aussi particulièrement illusoire.

La relative modestie des sommes à emprunter vis à vis du PIB de l’UE ne transforme donc pas l’UE en « Union de transferts » redouté par les Allemands, et c’est pour cela que la très grande majorité des Allemands ne sont pas opposés à ce plan. Les prêts/subventions du plan de relance représentent environ 2% du PIB de l’UE, mais c’est peu en comparaison de l’augmentation de la dette si elle atteint environ 20% du PIB.  les premiers emprunts ne pourront sans doute pas êtres souscris avant l’été 2021, au terme de la procédure de négociation sur les propositions de la commission, suivie de la ratification par les parlements nationaux[6]. Il y a encore beaucoup d’incertitude.  De plus, il n’est pas sûr que les États utilisent dans leur totalité ces nouveaux programmes, notamment le volet prêts, par refus de se faire imposer trop de contraintes par les règles de la Commission européenne, mais aussi en raison  du problème d’absorption des fonds, un problème récurent des fonds structurels.

Enfin, le risque est aussi que la France et  les  pays du Sud ne se satisfassent de liquidités temporaires et l’augmentation de l’endettement sans investir dans le secteur productif et  continuent d’arroser la société avec des politiques d’achat de paix sociale, des politiques sociétales à la mode et une administration pléthorique et inefficace. Avec l’argent facile, les pays du Sud risquent de ne pas se réformer en profondeur et voir en même temps diminuer  leur souveraineté vis à vis de l’UE, des marchés financiers et vis à vis de la BCE. On reporte sur les générations futures les décisions plus difficiles comme la question de la ré-industrialisation

L’impossible ré-industrialisation

Nous ne sommes plus dans le paradigme de l’austérité imposé à l’UE par l’Allemagne comme lors de la crise de l’euro car la distribution des  liquidités, convient aussi  à l’Allemagne qui doit aussi justifier son propre plan de relance économique.

L’Allemagne a ainsi bougé par rapport à son intransigeance initiale, mais c’est parce qu’elle a changé de tactique pour maintenir une zone euro largement à son profit.  L’Allemagne libère aujourd’hui de manière temporaire des  liquidités pour faire face à crise, mais à l’échelle des 27, en se plaçant comme arbitre des réformes et s’assure que des contreparties soient exigées par la Commission européenne. L’Allemagne a en effet intérêt à préserver les chaînes de production de ses entreprises qui ont été localisées en Italie du Nord et en Europe centrale et orientale. Elle n’a par contre pas intérêt à fournir des liquidités pour favoriser l’émergence de concurrents à ses exportations. L’Allemagne va à nouveau exiger avec la commission européenne l’interdiction des aides d’ État et l’application des règles de concurrence dont l’assouplissement avait été décidée temporairement pour faire face à la crise.

Le plan de relance national (séparé de l’UE) de l’Allemagne sera également bien plus important  que celui de la France qui compte surtout sur le plan de relance européen. L’asymétrie franco-allemande se renforce[7].

La création de la monnaie unique a eu pour effet de faciliter l’endettement des pays du Sud à des taux favorables, mais l’effet collatéral fût leur désindustrialisation, France comprise. Les erreurs  de stratégie économique sont évidemment aussi le fait des pays du Sud.  A l’occasion de cette crise, la question de la ré-industrialisation de la France  avait été logiquement  remise au centre des débats.

Mais avec la philosophie de ce plan de relance, les débats en France sur la ré-industrialisation, la renationalisation et la relocalisation des chaînes de production en privilégiant les circuits courts en synergie avec un protectionnisme intelligent risquent très probablement de rester lettre morte. Une véritable politique industrielle de la France sera impossible à mettre en œuvre  avec le plan de l’UE basé sur la poursuite de l’économie ouverte à la globalisation. Mis à part des effets d’annonce pour le secteur médical, l’industrie allemande souhaite en réalité préserver ses délocalisations en Chine et en Asie en général.

La répartition de nouveaux fonds dans les nouveaux projets seront approuvés par la commission européenne en fonction des priorités décidées par les gouvernements des  États membres et des thématiques prioritaires de la commission européenne comme l’environnement (le pacte vert), le social (une relance juste et inclusive) et la résilience avec notamment la santé. Toutefois, il n’y a pas de critères précis par rapport aux dégâts directement liés à la pandémie pour la distribution des fonds.

Il faudrait aussi à l’avenir examiner chaque thématique et la solidité des projets européens en termes de création d’emplois et de reconquête de la souveraineté industrielle et technologique  sur les thématiques ciblées comme  la santé, l’environnement, le numérique, et mesurer si le climat pour l’innovation sera amélioré. Il apparait pourtant de plus en plus que ce plan de relance est destiné avant tout à sauver le marché unique et moins à répondre aux dégâts directement liés au degré de gravité de la pandémie.

Ainsi de grandes incertitudes demeurent. Comment peut construire une  politique énergétique commune en lien avec l’environnement si l’Allemagne a abandonné le nucléaire ? Va-t-on construire plus d’éoliennes à l’efficacité douteuse mais destructrices pour le paysage et importer des panneaux solaires fabriqués avec des terres rares importées de Chine ? Il est aussi à prévoir que les dépenses dans le  social vont aussi être canalisées sur la question de l’intégration des migrants et que l’Allemagne va à nouveau promouvoir un plan de redistribution obligatoire des migrants et réfugiés dans l’UE. La priorité au  numérique sans stratégie de souveraineté avec les données qui vont être collectées aux États-Unis par la GAFA ne va pas renforcer l’autonomie stratégique des Européens.

Pire, les fonds dédiés aux projets de coopération en matière de défense auquel la France tient à cœur seront aussi réduits, affaiblissant le projet d’autonomie stratégique de l’UE.

Le plan de relance européen cherche en réalité à préserver une UE ouverte aux flux et aux frontières ouvertes, sans réelle politique industrielle ni relocalisation. Il sera nécessairement accompagné de conditionnalités de réformes puisque le plan est adossé au cadre financier multi-annuel de l’UE (2021 2027), donc sous supervision de la commission européenne.

L’ illusion du «  moment Hamilton  »

A l’issue de l’audition de la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen pour présenter le plan de relance de l’UE, nous avons aussi eu droit à une inflation des gros titres des  médias attestant d’un « moment  Hamilton », c’est à dire un saut fédéral sans précédent à partir d’une extrapolation douteuse du modèle  américain[8].

Au fur et à mesure que le brouillard se dissipe sur le plan de relance de la commission européenne, présenté comme un saut d’intégration européen, il apparait que la réalité est bien différente. Les artifices de communication des gouvernements des États membres de l’UE ont  déformé la réalité. Le déferlement sans précédent du sentiment d’eurobéatitude qui a été diffusé dans les médias français a relevé de la désinformation.

L’Allemagne, contrairement aux voeux des promoteurs de l’Europe fédérale, a précisément cherché à éviter une fédéralisation trop poussée de l’UE qui aurait nécessité un approfondissement de la zone euro comme noyau intégré doté d’un gouvernement économique et d’un budget. Le plan de relance ne favorise pas un modèle fédéral classique avec l’émergence d’un sentiment de solidarité au sein d’un peuple européen, car l’UE n’est pas une nation. Le plan favorise une Europe plus hiérarchisée et technocratique avec l’ Allemagne au centre de gravité géopolitique, et un renforcement de la Commission européenne  pour la supervision des nouveaux programmes de relance.

On peut donc penser que le saut d’intégration de l’UE à l’occasion de ce plan est très incertain car l’UE à 27 aura encore plus de difficultés à se mettre d’accord sur l’approfondissement du projet européen à 27 qu’au sein de la zone euro. N’oublions pas que la fracture Nord-Sud traverse la zone euro, et que l’exercice aurait été très ardu à cette échelle aussi, en particulier car les Français et les Allemand sont en désaccords sur les finalités européennes.

Les soldes net : la France grande perdante ?

Un autre élément escamoté des débats est la question des soldes nets, c’est à dire le bilan final pour chaque État en fonction des sommes qu’ils vont recevoir mais aussi leur contribution financière au plan de relace, remboursement de la dette comprise.

Comme le remboursement  des nouvelles dettes de l’UE devra probablement être honorée par  les États[9], l’État Français risque d’être contributeur net de ce plan de relance  avec en plus une perte de souveraineté puisque les projets seront sous supervision de la commission européenne. Les médias français se sont extasiés face à ce plan qui rapporterait à la France autour des 40 milliards, mais ce chiffre ne représente pas le solde net (c’est à dire sans compter la contribution de la France à ce plan).

Si l’on examine de plus près les documents de la Commission, les soldes nets ont été calculés en fonction d’une clé d’allocation, prêts et subventions potentielles confondus. La France contribuerait pour 130.3 milliards,  recevrait potentiellement  78.0 milliards et  donc perdrait 52.3 milliards[10]. Ce solde net pour la France correspondrait à un transfert financier vers d’autres États membres.

L’Espagne serait bénéficiaire d’un montant net de 82 milliards d’euros, l’Italie recevrait par contre un montant net de 56 milliards ( équivalent au solde net de la France), la Pologne 36 milliards, la Grèce 33,4 milliards, la Roumanie 21 milliards, le Portugal 20,2 milliards, la Hongrie 12 milliards et la Bulgarie 11,7 milliards, La Slovaquie, 9,9 milliards Chypre 1,1 milliards, la Lituanie 4,1 milliards, la Lettonie 3,6 milliards, l’Estonie 0,7 milliards, la Slovénie 1,2 milliards.

L’Allemagne est aussi un contributeur net puisqu’elle perdrait 133 milliards d’euros et elle sera donc épaulée par la France avec 56 milliards de transferts. Les autres contributeurs nets sont les Pays-Bas qui perdraient 31 milliards d’euros, la Suède 16, 6 milliard, l’Irlande 15,7 milliards, l’Autriche 14 milliards,  la Belgique  serait déficitaire de 13, 5 milliards et le Danemark de 12, 2 milliards, la Finlande 7, 7 milliards,  le Luxembourg 3, 4 milliards, République tchèque  0,6 milliards.

Il faut aussi préciser que les pays contributeurs nets au budget de l’UE profitent le plus du marché unique avec des excédents commerciaux, mais c’est surtout le cas de l’Allemagne et des pays du Nord, tandis que la France est déficitaire[11]  avec tous les pays de la zone euro.

De  plus, la nouvelle présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen  avait promis que l’UE jouerais désormais un «  rôle géopolitique » [12]. Si l’on examine le projet de budget de l’UE 2021-2027[13] remanié à l’occasion de la crise sanitaire et du plan de relance, cette promesse relève de l’incantation.

Un total de 8 milliards d’euros pour le Fonds européen de la défense et 2,2 milliards d’euros pour le Fonds pour la sécurité intérieure sont prévus afin de soutenir la politique d’autonomie stratégique et de sécurité de l’Union. 8,2 milliards d’EUR  sont destinés au programme pour une Europe numérique, afin de renforcer les cyberdéfenses de l’UE et de soutenir la transition numérique des investissements dans des infrastructures de transport afin de faciliter les connexions transfrontières.

Ces sommes sont à comparer aux 12,9 milliards d’euros pour l’aide de préadhésion, afin de soutenir les pays candidats dans les Balkans occidentaux. Plus flagrant est encore l’écart avec les 87 milliards d’euros pour l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, via une nouvelle garantie pour l’action extérieure, et le Fonds européen pour le développement durable, afin de soutenir les partenaires de l’UE dans les Balkans occidentaux, les pays du voisinage et l’Afrique, pour soutenir leurs efforts  pour lutter contre l’impact de la pandémie et en surmonter les conséquences. Un total de 22 milliards d’EUR sont destinés au Fonds «Asile et migration» et au Fonds pour la gestion intégrée des frontières, en vue de renforcer la coopération en matière de gestion des frontières extérieures ainsi que la politique en matière d’asile et de migration. Enfin, un total de 94,4 milliards d’EUR sont prévus pour le programme Horizon Europe, afin d’accroître le soutien européen aux activités de recherche et d’innovation dans les domaines de la santé et du climat.

Les fonds dédiés aux projets de coopération en matière de défense auxquels la France tient à cœur ont été fortement réduits dans le projet de budget de la commission qui prévoit de dépenser beaucoup plus en faveur des pays tiers. L’Italie et la Pologne qui seront les grands bénéficiaires de ce plan de relance au nom de la solidarité, ne montrent par contre pas de solidarité européenne en ce qui concerne les dépenses militaires, car ils achètent des chasseurs F35 américains.

Dans le passé, les gouvernements français se sont souvent contentés d’une victoire à la Pyrrhus en obtenant des concessions au niveau de l’UE, aujourd’hui  «  la solidarité » ou  «  la  mutualisation des dettes », tandis que  les gouvernements allemands ont imposé les modalités de nouvelles politiques. Dans l’UE, le diable se niche toujours dans les détails. C’est la logique du pouvoir dans l’UE depuis l’introduction de l’euro sur l’insistance des Français pour que l’Allemagne abandonne le mark à l’occasion du Traité de Maastricht (1992).

A plus long terme se pose la question des finalités de l’UE. L’Europe est elle un simple espace ouvert aux flux de la mondialisation ou un territoire forteresse ? Une « Europe protection » dans la mondialisation, option préférée de la France,  entre en contradiction avec l’Allemagne comme « nation-exportatrice ». L’Allemagne cherche à maintenir une Europe ouverte pour tirer avantage de sa puissance exportatrice et investir ses surplus de capitaux dans le monde entier.

L’impossibilité du couronnement politique de l’UE

On touche aussi aux fondements géopolitiques du projet européen, en particulier les malentendus franco-allemands.

Les fédéralistes se réjouissent de ce plan car ils souhaitent instrumentaliser cette crise pour pousser à plus d’intégration et pérenniser ces mécanismes temporaires à partir du précédent créé par la mutualisation modeste des dettes pour aboutir à un saut fédéral européen.

Dans cette hypothèse, comment invoquer une mutualisation des dettes de manière  définitive  sans donner en contrepartie une mutualisation politique, ce que la France a toujours refusé à l’Allemagne jusqu’à présent? Les Allemands perçoivent cette insistance des Français à vouloir mutualiser les dettes à chaque crise pour profiter de la puissance économique allemande en exerçant un chantage à la « solidarité », mais les Français reculent toujours lorsqu’il s’agit de mutualiser le siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU ou adopter la majorité qualifiée en politique étrangère.

Le gouvernement allemand  a toutefois promis à son électorat mais aussi aux pays du Nord de l’UE qu’on nomme les « États frugaux » qu’il ne s’agissait que d’un plan exceptionnel, contrepartie pour approuver la possibilité pour l’UE de lever directement des emprunts et contracter des dettes.

Il y a donc une grande ambiguïté sur la question du modèle d’intégration et du supposé processus de fédéralisation . On ne s’avance pas en réalité vers un modèle fédéral typique qui exige une répartition des compétences claires, donc transparence démocratique,  et une nation (comme les États-Unis, l’Allemagne, la confédération Suisse..). Il s’agit d’un système sui generis, ni institution internationale, ni États, mais un  « OPNI »  (objet politique non identifié, expression de l’ancien président de la commission européenne Jacques Delors en 1985) qui masque la hiérarchie des États qui agissent en coulisses des institutions qui ont aussi leur propre agenda. L’Allemagne se renforce comme centre de gravité géopolitique de cette Union européenne mais cette réalité est en partie masqué par le couple franco-allemand  de plus en plus asymétrique.

Conclusion

 Le couple franco-allemand s’est repositionné au centre du pouvoir de l’UE grâce à son plan franco-allemand du 18 mai sur lequel la commission européenne a bâti ses propositions présentées le 27 mai. Toutefois, afin d’apparaître comme l’inspiratrice du plan de relance, le prix pour la France est très lourd avec les concessions faites à l’Allemagne. Autant la France et l’Allemagne sont en position de charnière en Europe et forment l’axe majeur de l’UE, autant un rééquilibrage est nécessaire pour élargir la marge de manœuvre de la France. La volonté Emmanuel Macron de rééquilibrer la relation franco-allemand a échoué et c’est en réalité une accentuation du déséquilibre en faveur de l’Allemagne qui a été acté.

Ce n’est pas nouveau car les gouvernements français se sont souvent contentés de symboles et de slogans comme aujourd’hui « la solidarité »  ou  la « mutualisation des dettes » tandis que se sont les gouvernements allemands ont imposé les modalités de ces plans. Dans l’UE, le diable se niche toujours dans les détails.

Il faut aussi rappeler que ce plan doit encore être négocié par les 27 à l’unanimité. Il est susceptible d’être modifié, mais forcément avec une baisse des ambitions. Les pays dits « frugaux»  ( les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède) se sont à nouveau opposés à ce que le plan de relance octroie des subventions lors du sommet européen du 19 juin et se sont exprimés en faveurs des prêts. Ils exigent aussi que ces transferts financiers sous formes de prêts soient assortis de conditionnalités strictes en termes de réformes. De leur côté, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République Tchèque estiment qu’il est trop tôt pour connaître quels sont les pays qui ont le plus souffert de la crise économique issue de la pandémie pour la distribution des fonds[14].

Ce plan se révélera être une grande illusion pour ceux qui pensaient qu’il surmonterait les déséquilibres au sein de la zone euro et de l’UE entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord, et qu’il permettrait un meilleur équilibre vis à vis de l’Allemagne, en procédant par une fuite en avant dans l’intégration.  La question des déséquilibres créés par les excédents commerciaux de l’Allemagne et des pays Nord dans le marché unique vis à vis des pays du Sud  n’a pas été abordée et ne sera donc pas résolue. Un autre enjeu escamoté est celui de la fiscalité. Les Pays-Bas sont l’ État le plus réticent des pays du Nord de l’UE a accepter des transfert financiers vers l’Europe du Sud, mais son statut de « paradis fiscal » qui attire les sièges des grandes entreprises lui assure des revenus importants au détriment des autres États membres[15].

Si l’on se réfère à ses propositions initiales pour un renforcement de la zone euro, il apparait donc que le président français Emmanuel Macron a perdu la négociation face à Angela Merkel qui a agit en synergie avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

Le gouvernement allemand défend ses intérêts il n’y a rien d’anormal à cela. C’est la faiblesse du gouvernement français qui est en cause. Comme la France et les pays du Sud sont demandeurs de solidarité, celle-ci est canalisée selon des règles largement allemandes. C’est la logique du pouvoir dans l’UE depuis l’introduction de l’euro sur l’insistance de la France pour que l’Allemagne abandonne le Deutsche Mark.

Si les promoteurs de l’Europe intégrée et du fédéralisme européen se sont réjouis de ce plan de relance, il apparait pour l’instant que Emmanuel Macron a souhaité présenter un succès européen et donner l’illusion d’une « souveraineté européenne » ( et non pas nationale) mais  au prix de concessions importantes pour la France. Les  promesses de relocalisation et de ré-industrialisation seront difficiles à mettre en œuvre dans un système ouvert, que les Allemands souhaitent conserver mis à part des exceptions.

Un rééquilibrage du couple franco-allemand et de l’UE reste donc nécessaire, car les enjeux de fond n’ont pas été abordés avec ce plan de relance en négociation. Il y a jusqu’à présent volonté des gouvernements des  États membres de l’UE  de sauvegarder le marché unique et d’éviter une nouvelle crise de l’euro, mais pas de résoudre les problèmes qui sont à l’origine des déséquilibres économiques et géopolitiques au sein de l’UE. Les gouvernements s’entendent pour sauvegarder le système UE mais ils divergent sur les finalités.  En réalité, le projet européen est une succession de crises depuis les origines puisque il a été initié  pour  gérer la rivalité franco-allemande qui reste au cœur du projet européen. C’est donc la vocation du projet européen de rester inachevé. Les compromis, notamment franco-allemands, restent donc précaires et temporaires et les équilibres géopolitiques de pouvoir entre la France et l’Allemagne évoluent en fonction des crises.  La rivalité géopolitique franco-allemande est la  raison d’être du projet européen, mais en même temps sa limite. Le projet européen ne peut donc pas s’écrouler, mais il ne peut pas aboutir non plus à une forme politique définitive, comme une Europe fédérale. Il évoluera sans cesse, « au bord du gouffre », en réaction aux crise internes et externes.

Dans l’immédiat, la France pourrait à l’inverse exiger la plus grande marge de manœuvre possible de la part de l’UE pour ses projets. L’élaboration d’un plan national solide serait préférable afin d’éviter que  les crédits nationaux ne s’alignent intégralement sur les exigences de l’UE, mais que les financements de l’UE viennent abonder les priorités nationales. Mais cela ne suffira pas car encore faudrait t-il que cet argent soit utilisé pour l’innovation, la ré-industrialisation pour créer des emplois et non pas pour alimenter des bulles financières ou des subventions  publiques inefficaces.  L’endettement à des taux favorables n ‘est aujourd’hui pas un problème pour les États afin de financer des plans nationaux, avec ou sans plan de relance européen, notamment grâce à la Banque centrale européenne. Ajouter une couche supplémentaire de bureaucratie européenne pour superviser ces plans semble peu pertinente, en particulier pour la France.

[1] https://www.ft.com/content/dfcee508-51dc-4a10-9e77-17c40efe2458

[2] Dans le programme électoral  d’Emmanuel Macron: https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/europe et son discours de la Sorbonne : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique

[3] Celui-ci devrait « soutenir à la fois les réformes structurelles et les investissements publics » réalisés par les États membres. Objectif : « accroître le degré de convergence et la compétitivité au sein de la zone euro ».

[4] Un budget de la zone euro, avait finalement été approuvé au sommet franco-allemand de Mesenberg par les Allemands, initialement hostiles à cette question. Les contours de ce budget ont été présenté à Bruxelles le 19 novembre. Or, contrairement aux souhaits d’Emmanuel Macron qui voulait un budget en dehors de l’UE, celui-ci avait été  intégré au budget pluriannuel de l’Union européenne. Il avait été décidé qu’il serait de plus supervisé par la Commission européenne, et donc très influencé par les conceptions allemandes ordo-libérales. Le montant du budget de la zone euro aurait  été trop insignifiant pour être structurant et sa mise en œuvre  avait été repoussée en 2021, et largement conditionnée par les exigences allemandes, inscrites dans les priorités du budget de l’UE (2021-2027). Ce compromis avait déjà rencontré l’opposition des Pays-Bas et des pays nordique de l’UE, renforçant les incertitudes sur le projet.

[5] Pour financer les investissements nécessaires, la Commission émettra des obligations sur les marchés financiers internationaux au nom de l’UE. Pour rendre l’emprunt possible, la Commission modifiera la décision relative aux ressources propres et augmentera la marge de manœuvre – la différence entre le plafond des ressources propres du budget à long terme (le montant maximal de fonds que l’Union peut demander aux États membres pour financer ses dépenses) et les dépenses réelles. Grâce à la marge de manœuvre en guise de garantie, la Commission lèvera des fonds sur les marchés et les acheminera, par l’intermédiaire de Next Generation EU, vers des programmes destinés à réparer les dommages économiques et sociaux et à se préparer à un avenir meilleur. La Commission va emprunter jusqu’à 750 milliards d’EUR, le gros de ce montant étant concentré sur la période 2020-2024

 https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/factsheet_3_fr_29.05.pdf

[6] Mai 2020 Proposition de la Commission de révision du cadre financier pluriannuel pour les périodes 2014-2020 & 2021-2027 et décision relative aux ressources propres + législation sectorielle.  D’ici juillet 2020. Conseil européen : accord politique sur le cadre financier pluriannuel pour les périodes 2014-2020 & 2021-2027 et sur la décision relative aux ressources propres. D’ici l’été 2020. Consultation du Parlement européen sur la décision relative aux ressources propres. Début de l’automne 2020. Adoption du cadre financier pluriannuel révisé pour la période 2014-2020 et de la législation sectorielle correspondante Octobre 2020. Conseil européen Décembre 2020. Adoption du cadre financier pluriannuel révisé pour la période 2021-2027 (approbation du Parlement européen). Adoption de la décision relative aux ressources propres (ratification par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles). Janvier 2021. Début de la mise en œuvre du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027.

[7] https://www.capital.fr/economie-politique/economie-lallemagne-risque-de-releguer-la-france-en-deuxieme-division-1371881

[8] L’expression  moment Hamilton fait référence  au premier Secrétaire du Trésor Alexander Hamilton  qui a initié en 1790  la reprise par le  gouvernement fédéral des dettes contractées par les États américains dont les finances publiques  étaient très dégradées par la guerre d’indépendance.

[9] Les ressources propres proposées par la commission dans son plan de relance seront difficilement acceptées lors de négociations  (et ce n’est pas souhaitable car il y aurait moins de contrôle des États sur le système UE ).

[10] La France contribuerait pour 130.3 milliards recevrait potentiellement  78.0 milliards et  donc perdrait 52.3 milliards

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?qid=1590742540196&uri=SWD%3A2020%3A98%3AFIN

[11] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/la-france-et-ses-partenaires-economiques-pays-par-pays/

[12] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_19_5542

[13] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/factsheet_2-fr.pdf

[14] https://www.france24.com/fr/20200619-covid-19-plan-relance-union-europenne-desaccords-sommet-europeen

[15] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/pourquoi-les-pays-bas-n-ont-pas-de-lecons-a-nous-donner-20200423