Le couple franco-allemand et les accords de Minsk II : embryon de l’ Europe européenne ou grande illusion ?

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Les accords de Minsk II pour résoudre la question ukrainienne sont susceptibles de faire évoluer la stabilité du continent européen dans deux directions différentes : le gel du conflit avec stabilisation lente et laborieuse de l’Ukraine ou une reprise de  l’escalade militaire après une période de répit.

La situation évoluera en fonction de la volonté politique des européens d’ériger un projet d’ Europe européenne incluant la Russie et l’Ukraine dans une architecture renouvelée de taille continentale. Sans cette volonté politique, ces accords seront illusoires et les Européens se laisseront encore instrumentaliser par les puissances extérieures sans volonté d’agir sur leur destin et leur souveraineté.   

Un sursaut vers l' « Europe européenne  »   ?

Les accords de Minsk II annoncent deux éléments extrêmement positifs : le premier accord entre Européens sans la participation des États-Unis pour le rétablissement de la stabilité sur le continent européen et la réaffirmation de l’axe franco-allemand. Ces évolutions seront-elles suffisantes pour inverser la déstabilisation rapide du continent eurasien par les stratégies euro-atlantistes ?

Les accords de Minsk II  contrastent avec le fiasco de la médiation du 21 février des ministres allemands, français et polonais, la veille du Putsch contre le président Ianoukovitch. Les trois ministres n’avaient pas tenu parole et toute la méfiance sur le dossier ukrainien est en grande partie issue de cet épisode qui a souligné pour les Russes le double discours des gouvernements des Etats-membres de l’Union européenne. 

La veille des accords de Minsk II, l’ombre des États-Unis a pourtant encore été présente avant la rencontre entre le président Poroschenko et Kerry et la visite d’Angela Merkel à Barack Obama.

C’est paradoxalement dans les moments les plus difficiles et lorsque les trajectoires des Allemands et des Français divergent le plus que le couple franco-allemand se met en scène. Le président François Hollande avait annoncé vouloir assouplir les sanctions dès le début de l’année contre la Russie et éviter d’ériger « un nouveau mur » tandis que la chancelière Angela Merkel voulait les maintenir.

 

Dans les débats politiques de précampagne électorale en France, un rapprochement avec la Russie a été jugé indispensable par François Fillon et  Nicolas Sarkozy à l’UMP et bien avant par Marine Le Pen au Front national mais aussi Jean-Luc Mélenchon au front de gauche. Cette évolution s’est accélérée surtout depuis les attentats islamistes à Paris début janvier qui font de la menace intérieure et l’arc de crise au Sud de l’Europe issu des révolutions arabes violentes la priorité française. La Russie est considérée par ces hommes et femmes politiques comme un partenaire incontournable car les intérêts communs devraient prévaloir pour faire face à la menace islamiste sur le continent eurasien.  La méfiance vis-à-vis de la Russie et l’idéologie euro-atlantiste se sont par contre renforcées dans la classe politique au pouvoir en Allemagne, notamment à la CDU/CSU et de manière plus modérée au SPD et chez les Verts. Cette évolution inverse la tendance géopolitique précédente à accorder une attention plus grande aux intérêts de la Russie. Le risque de découplage  franco-allemand et un risque de marginalisation par rapport à l’affrontement américano-russe dans le contexte d’un débat poussant à la livraison d’armes à l’Ukraine a poussé les Allemands et les Français à se rapprocher afin de se mettre en situation de pouvoir pour mieux contrôler l’évolution de la crise.

On aimerait ainsi croire à un sursaut du couple franco-allemand pour enrayer le risque d’escalade du conflit en Ukraine. Cette posture  pourrait rappeler en intensité moindre leur opposition à la guerre en Irak en 2003 voulue par les Etats-Unis et ses proches alliés euro-atlantistes. La situation est en réalité différente car le couple franco-allemand a repris l’initiative pour essayer de stopper la spirale de violence après une gestion malencontreuse de ce dossier par l’Union européenne et ses Etats-membres. Il était portant prévisible que la non prise en compte des intérêts de minorités russophones en Ukraine et ceux de la Russie en insistant à imposer un accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine tout en imposant des sanctions uniquement sur l’une des parties renforcerait le conflit provoquant la mort de plus 5 500 morts. La proposition russe d’entamer des négociations tripartites entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie à propos de la compatibilité de l’accord d’association entre l’Union européenne et  l’Ukraine et l’Union eurasiatique initiée par la Russie commence à faire son chemin dans l’Union européenne. L’erreur initiale de la part de l’Union européenne fut de forcer l’Ukraine à choisir ses relations politiques et commerciales de manière exclusive entre l’Ouest et l’Est. La dégradation de la situation a fait changer d’avis l’Union européenne et nous sommes revenus à la case départ après autant de pertes humaines  et dégradation matérielles dans le conflit au Donbass soulignant le gâchis phénoménal de cette crise.  

 Un couple franco-allemand trop faible

Avec Angela Merkel jusqu’à présent trop inféodée à la vision euro-atlantiste[1] et le partenariat franco-allemand trop déséquilibré au profit de l’Allemagne par la défaillance du président français François Hollande à défendre le rang de la France et ses conceptions gaulliennes, l’action du couple pourrait pourtant s’avérer rester une grande illusion.

Le couple franco-allemand a encore du mal a jouer pleinement son rôle de médiateur dans cette crise car ils se sont dédouanés de leur responsabilité après la médiation des ministres des affaires étrangères de l’Allemagne, de la France, et de la Pologne le 21 février 2014 pour opérer une désescalade et une transition politique négociée après le massacre de Maïdan qui comporte de nombreuses zones d’ombre[2]. Ils n’ont pas condamné le putsch à Kiev ni le changement de régime soutenu par les Etats-Unis comme le laisse penser les propos du Président Barack Obama[3] lui-même mais aussi la conversation de Viktoria Nuland avec l’ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine[4], donnant à leur posture une grande ambiguïté. Auparavant le gouvernement Allemand avait soutenu les manifestations à Kiev avec la visite  du ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle à Maïdan précédant celle du sénateur américain Mac Cain et de la secrétaire américaine aux affaires européenne Victoria Nuland. L’Union européenne et ses États membres ont par ailleurs cherché à tout prix à signer l’accord d’association qui a déstabilisé l’Ukraine en forçant le gouvernement à choisir entre l’Union européen ou la Russie, alors même que cet accord a provoqué la méfiance de la Russie et des Ukrainiens de l’Est estimant qu’il n’était pas favorable à leurs intérêts. Les réformes néolibérales européennes proposées à l’Ukraine par l’Union européenne et le FMI ont été testés en Grèce en Espagne et au Portugal et ne sont pas exemptes de critiques. Il  faut aussi rappeler que le Partenariat oriental, initié par la Pologne et la Suède, a pour objectif géopolitique selon ses créateurs soutenus par les Etats-Unis de créer une zone tampon contre la Russie et  de préparer  à long terme un élargissement à l’OTAN et l’UE[5]

Ils ont de plus critiqué très mollement les exactions des troupes ukrainiennes loyales au nouveau régime de Kiev et l’épuration dans le Donbass. 

Le couple franco-allemand aurait pu faire bloc pour contrer depuis longtemps la déstabilisation de l’Ukraine: le partis pris en faveur du président Ukrainien Porochenko est manifeste puisqu’il a été invité au Conseil européen à Bruxelles au lendemain des négociations de Minsk II, mais pourquoi pas les chefs des rebelles du Donbass  (alors que l’Union européenne s’empresse d’habitude à vouloir parler avec les opposants dans de nombreux pays comme la Biélorussie par exemple, la Birmanie…) ?

La tentative de torpillage de l’initiative du couple franco-allemand par les Etats-Unis et leurs alliés.

En amont des négociations de Minsk II, les Etats-Unis et leurs alliés proches ainsi que le gouvernement ukrainien qui lui est directement inféodé[6] ont menacé de livrer des armes au gouvernement ukrainien.). Pour enfoncer le clou, les Etats-Unis ont aussi annoncé vouloir envoyer un contingent de soldats entrainer l’armée ukrainienne. Ils ont par ailleurs de manière discrète déjà procédé à des livraisons d’armes en Ukraine[7]. Les Britanniques ont pour leur part annoncé envoyer un contingent de soldats en Ukraine pour entrainer l’infanterie et conseiller l’armée ukrainienne en matière de logistique et d’intelligence tactique et rejoindre des experts américains déjà sur place[8]. Comme les gouvernements américains et britanniques n’ont pas pris directement part aux négociations de Minsk II, leurs actions ne concourent pas à la réussite des accords car l’une des clauses de l’accord de Minsk est justement d’éviter toute présence étrangère en Ukraine. Ils justifient leur décision par la présence de l’armé russe dans l’Est de l’Ukraine, fait qui n’a jamais été vérifié par l’OSCE. Le chef de l’Etat major Ukrainien, le Général Viktor Muzhenko, a même souligné qu’il n’y avait pas de troupes russes en Ukraine et que l’armée ukrainienne ne se battait pas combattait contre des unités régulières de l’armée russe[9]. Des volontaires de nationalité russe sont par contre présents aux côtés des rebelles du Donbass, fait admis par les autorités russes, comme les mercenaires européens et américains du côté des brigades de volontaires incorporés à l’armée ukrainienne. De plus, on ne peut pas faire de symétrie entre les volontaires russes et les mercenaires des pays occidentaux car la crise ukrainienne déstabilise l’environnement géographique immédiat de la Russie et l’histoire de l’Ukraine et de la Russie sont inextricablement mêlés. Dans un monde multicentré où la stabilité géopolitique dépendra de l’acceptation de lignes rouges respectives à ne pas dépasser entre puissances pour préserver leur sécurité dans leurs zones géographiques  d’intérêts prioritaires, les Russes ont une légitimité géographique et historique par rapport à la question ukrainienne que les autres n’ont pas.

Les accords de Minsk II : nouveau Yalta ou scénario yougoslave

A partir du moment où le gouvernement ukrainien peut  espérer recevoir des armes des Etats-Unis, il à intérêt à rester ferme sur ses exigences et éventuellement rendre difficile la mise en œuvre des accords de Minsk II. Le pire serait de vouloir poursuivre les combats et régler militairement la question de l’insurrection dans le Donbass dans une phase ultérieure de la crise après une période de désescalade. Cette posture est pourtant largement illusoire car l’armée ukrainienne ne fera pas le poids face aux rebelles motivés par la défense de leur territoire, garantie de leur survie.

Une telle évolution soulignerait les similitudes avec les conflits en ex-Yougoslavie des années 1990 : les Etats-Unis avaient torpillé le plan de paix Vance-Owen en 1993 qui stabilisait la situation après la victoire de l’armée yougoslave qui défendait l’intégrité territoriale de la Yougoslavie en poussant les représentants bosniaques  à refuser les accords[10]. La partie croate et bosniaque à qui les Etats-Unis avaient promis des armes ont de facto fait capoter les négociations  européennes et poussé à une  reprise de la guerre qui aboutira à la dislocation de la Yougoslavie. Les Etats-Unis ont finalement réussi à opérer un changement de régime en Yougoslavie avec l’élimination de Slobodan Milosevic après une guerre offensive au Kosovo en 1998 pour définitivement démembrer le territoire historique de la Serbie. La différence avec le conflit actuel est que les rapports de force sont différents et les rebelles du Donbass et la Russie ne plieront pas comme avait été obligé de la faire la Yougoslavie lâchée de toutes parts.   

Dès les premières heures après les négociations de Minsk II, les différentes parties ont montré leurs divergences quand à l’interprétation des nouveaux accords. Le président ukrainien Petro Porochenko s’est empressé de souligner qu’il n’y aurait pas de fédéralisation du pays,  tandis que le ministre des affaires étrangères Pavlo Klimkin a souligné qu’il n’y aurait pas  d’amnistie pour les chefs rebelles du Donbass

Ces déclarations de la part du gouvernement ukrainien soulignent son ambiguïté et semblent vouloir faire porter un échec des négociations et de la mise en œuvre des accords de Minsk sur les rebelles. En effet comment ceux-ci peuvent-ils raisonnablement déposer les armes de manière unilatérale  et faire confiance  au gouvernement ukrainien si celui-ci exclu d’emblée une amnistie, un processus réel d’autonomisation du Donbass, et appelle à des livraisons d’armes mettant en danger leur propre sécurité et celle de leurs familles ? De plus l’encerclement des troupes de Kiev à Debaltsevo a été nié alors que son évacuation était une condition de la signature des accords selon l’interprétation des rebelles du Donbass. 

Cette crise évolue aussi selon une dynamique de plus long terme : le gouvernement Ukrainien a l’intention de persévérer dans sa demande d’adhésion à l’OTAN et l’UE, revendication soutenue par les Polonais, Baltes, Britanniques et Américains mais bloqué pour l’instant par les Français et les Allemands.

La fédéralisation et la neutralisation de l’Ukraine (ni OTAN, ni UE) et l’acceptation d’unification de la Russie/Crimée qui est la seule issue possible pour la paix et la stabilité ne seraient pas garanties pleinement par ces accords. Ces hypothèque risquent de rester en suspend si le gouvernement de Kiev soutenu par le « parti des faucons » (les Etats-Unis,  le Royaume-Uni, les Polonais et les Baltes) espère attendre une situation plus favorable pour reprendre l’offensive face aux rebelles après une phase de réarmement.

Le soutien inconditionnel au président Porochenko et au premier ministre Iatseniouk

Contrairement à ce que l’on peut entendre sur la plupart des grands médias européens aux commentaires malheureusement biaisés sur le conflit, de nombreux acteurs politiques dans l’Union européenne accusent Vladimir Poutine comme le fauteur de trouble principal. C’est pourtant le gouvernement ukrainien qui est l’obstacle principal au règlement pacifique de la question ukrainienne. Il faut rappeler que le président Porochenko est venu au pouvoir après des élections issues d’un changement de régime sans légitimité dans le Donbass (les cartes électorales souligne le clivage et contredisent la soi-disant légitimité du président Porochenko sur l’entièreté du territoire ukrainien). De plus, à l’inverse des promesses de campagne du président Porochenko qui avait annoncé vouloir initier des négociations avec les rebelles ukrainiens du Donbass, l’opération « anti-terroriste » a été renforcée et les villes de Donetsk et Lugansk ont subit des bombardements continuels à l’arme lourde. De plus,  les accords précédents de Minsk I qui prévoyaient un statut spécial d’autonomie pour les entités de l’Est n’avaient pas été mis en oeuvre. Les rebelles ukrainiens, ont donc été obligés de lancer une contre-offensive pour protéger leur territoire, condition nécessaire à leur survie. 

La pression diplomatique a été exercée de manière asymétrique sur la Russie et les forces anti-gouvernementales mais trop rarement sur le gouvernement de Kiev. Les nouvelles sanctions  de l’UE contre les personnalités russes après les accords de Minsk II sont totalement contre-productives et a incité l’armée de Kiev à trainer les pieds pour retirer ses armes lourdes[11], alors que des sanctions symétriques pouvaient au contraire être dirigées vis-à-vis du gouvernement de Kiev pour le forcer à respecter les accords.

Les Etats-membres de l’UE ont dans le passé aussi donné l’impression de soutenir la gestion militaire de la question ukrainienne. Angela Merkel avait souligné soutenir l’intégrité territoriale des l’Ukraine le 23 août 2014 durant les bombardements de villes du Donbass par l’armée ukrainienne[13]  et le gouvernement ukrainien a estimé avoir carte blanche pour sa gestion militaire du conflit. Comme lors des précédentes négociations à Minsk I, c’est la défaite militaire de l’armée ukrainienne qui a forcé le président Porochenko à négocier. La perspective d’une défaite et la progression des contre-offensives rebelles après l’attaque de l’aéroport de Donetsk fut un facteur  primordial. C’est seulement après l’échec de cette offensive et de la progression de la contre offensive des rebelles que le gouvernement ukrainien et les gouvernements allemands et français selon le format « Normandie » ont repris des négociations.

On peut craindre que le gouvernement ukrainien cherche un répit temporaire pour reprendre des forces et internationaliser le conflit pour avoir le soutien de l’Occident.

Face à l’absence de confiance entre les parties belligérantes mais aussi les grandes puissances qui affichent des intérêts divergents à propos de cette crise, les deux options les plus probables sont  l’évolution vers un conflit gelé avec de facto une autonomie des Républiques du Donbass ou la reprise ultérieure des combats sur le mode de basse intensité faisant peser le risque d’une extension géographique et militaire ultérieure du conflit.

Pour  rendre compte de la complexité de la situation, il faut aussi préciser que les rebelles du Donbass prennent leurs décisions en fonction de leur propre logique et ne sont pas sous les ordres du gouvernement russe, tandis les bataillons de volontaires financées par des oligarques locaux échappent au contrôle du gouvernement central de Kiev. En cas d’escalade, le risque est  la dérive vers un conflit qui échappe à tout contrôle[14].    

La faillite annoncée de l’isolement de la  Russie

La carte géopolitique illustrant cet article porte sur les conséquences négatives d’une aggravation des différents entre Russie et Etats-Unis, mais aussi de l’illusion d’un isolement de la Russie dont le territoire est incontournable. Il donne une autre perspective à la question ukrainienne et la dégradation des relations avec la Russie qui est dommageable aux intérêts des nations européennes.

Contrairement au matraquage médiatique annonçant une nouvelle guerre froide, la configuration géopolitique dans un monde multicentré ou les alliances sont fluides est différente. Les possibilités d’alliances très variées et inattendues. La position géographique de la Russie et sa taille rendent impossibles on isolement effectif. Dans le cas de livraisons d’armes au gouvernement du président Poroshenko, les combats s’intensifieraient tandis que les rebelles au gouvernement central ne reculeraient probablement plus comme la séquence précédente. On risquerait alors l’élargissement de plusieurs fissures géopolitiques en Europe : non seulement entre Russie et Union européenne mais aussi entre Etats-membres, y compris entre gouvernements Allemands et Français.

De plus, le président Vladimir Poutine qui reste très populaire vis à vis des citoyens russes a montré une retenue remarquable face aux exactions commises contre les russophones dans toute l’Ukraine mais aussi face aux sanctions ouvertement invoqués par une partie du personnel politique européen afin de provoquer un changement de régime en Russie. La couverture tendancieuse de nombreux médias occidentaux à propos de l’assassinat à Moscou de l’opposant russe ultra minoritaire Boris Nemtsov le 27 février sans attendre les résultats de l’enquête participe au climat de soupçon généralisé sur les intentions des uns et des autres. On voit mal quel bénéfice pourrait tirer le pouvoir russe de cet évènement qui risque au contraire de déstabiliser la société russe et d’attirer les critiques internationales. De plus, il n’est pas du tout sûr qu’un nouveau régime qui succéderait au président russe actuel soit plus conciliant et une déstabilisation politique interne de la Russie aurait des conséquences négatives en Europe et dans le monde.   

Dans le cas d’un élargissement de la fracture avec la Russie, il ne faut pas croire que le différend avec la Russie se cantonnerait à l’Ukraine. Les différents conflits pourraient s’aggraver dans toute la proximité géographique de l’Union européenne : dans les Balkans, les conflits gelés, en Géorgie, au Nagorno–Karabagh, dans les pays baltes qui se positionnent en pointe des tentatives de pourrissement du conflit en fonction des intérêts de l’OTAN. Dans le voisinage européen en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, aucun conflit ne peut raisonnablement trouver un issue positive sans le concourt de la Russie comme le différend avec l’Iran et son programme atomique, la désintégration de la Libye, le conflit en Syrie, la lutte contre l’Etat islamique et la coopération en matière de terrorisme, en Afghanistan ainsi que la stabilité de toute l’Asie centrale. 

Au niveau économique, il faut quand même rappeler que c’est la Russie qui détient le gaz et le pétrole et les minéraux rares, pas les Européens.

Dans le cas d’une escalade avec la Russie touchant les approvisionnements énergétiques, Les Européens deviendraient plus dépendant du pétrole et gaz du Moyen-Orient sur la voie d’une déstabilisation croissante et subir plus encore le prosélytisme islamiste.

Les Européens deviendraient aussi encore plus dépendant de la finance et du commerce avec les Etats-Unis alors que la crise de 2008 a montré que les conséquences graves pour les sociétés européennes d’avoir privilégié un modèle ultralibéral et financiarisé provenant d’outre atlantique. Le projet de grand marché transatlantique  risque de renforcer la dépendance des Européens vis-à-vis de ce modèle alors qu’ils bénéficieraient d’un espace de prospérité et de stabilité de Lisbonne à Vladivostok afin de mieux équilibrer les relations extérieures de l’Union européenne.

Conclusion et perspectives : la nécessité d’une vision géopolitique commune au binôme franco-allemand

Le couple franco-allemand, dont l’action fut largement réactive afin d’éviter l’élargissement des fractures continentales et de contenir la posture agressive de certains de ses partenaires de l’OTAN ne joue pas assez dans cette crise le rôle de chef de file d’une « Europe européenne » à cause des finalités différentes du projet entre Français et Allemands. Il aurait fallu un de Gaulle et un Adenauer pour  faire face à la crise ukrainienne et tenter de résoudre le conflit par le haut.

Les Allemands et France ont pourtant des perceptions de sécurité et donc des priorités géopolitiques encore trop différentes : il serait judicieux de   rapprocher leurs représentations géopolitiques pour négocier une stratégie commune passant par l’identification d’intérêts communs sur les territoires dans la proximité géographique de l’Union européenne.

Face à la situation géopolitique actuelle, Angela Merkel ne peut pas jouer le rôle de chef de file en Europe par sa proximité avec les Etats-Unis  tandis que Français Hollande a montré un tropisme trop important vers la Méditerranée et un atlantisme marqué pour contrebalancer une Allemagne perçue comme trop pesante en Europe depuis son unification et l’élargissement oriental de l’Union européenne. Une entente franco-allemande est pourtant incontournable pour initier une entente continentale durable pour peser dans le monde et il constituera le chantier majeur des classes politiques allemandes et françaises de ce  siècle.    

On s’avance donc probablement vers une fracture durable entre l’UE et la Russie car les Européens ne veulent pas reconnaître leurs erreurs et restent encore les otages de la vision euro-atlantiste porté par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Pologne et les pays Baltes qui vont sans cesse remettre sur la table la question de l’élargissement de l’OTAN et l’UE. Le matraquage de la doctrine insistant sur le choix des Etats à choisir leurs alliances revient en réalité à justifier la poursuite de l’encerclement et l’affaiblissement de la Russie au cœur de son identité territoriale et les sanctions à œuvrer à un changement de régime en Russie. Même si Angela Merkel et François Hollande sont défavorables à la cristallisation de cette fracture, ces questions risquent de grever les relations euro-russes comme une épée de Damoclès et empêcher la confiance de se s’instaurer.

Il est pourtant illusoire de régler la question ukrainienne comme les autres conflits de voisinage issus de l’effondrement de l’URSS de manière cloisonnée. L’évolution favorable dépend d’un règlement global avec la Russie et la place qu’on lui accordera dans le projet européen tout en respectant les souverainetés respectives. La formation d’un axe continental de Paris à Moscou en passant par Varsovie et Kiev comme axe eurasien de rééquilibrage serait nécessaire pour peser dans le monde multicentré.

La question est aussi civilisationnelle : l’Europe sans la Russie ne fait pas le poids dans le monde. Un renforcement de la civilisation européenne  passe par l’apport multiséculaire de la Russie même si sa vocation eurasienne est aussi une réalité incontournable en raison de sa géographie et de son histoire. Dans le contexte géopolitique actuel, un affaiblissement de la chrétienté qui est porté par les racines orthodoxes catholiques et protestantes vis à vis d’un islam conquérant est dommageable aux intérêts communs des européens  

Si les Européens veulent préserver le projet d’une Europe politique et souveraine, une inflexion des politiques poursuivies jusqu’à présent serait bienvenue : préserver la stabilité du continent européen nécessite réside l’acceptation des nouvelles réalités multipolaires afin de ne plus empiéter sur les territoires d’intérêt prioritaires de la Russie et d’arrêter l’expansion euro-atlantiste. Cela renforcerait le projet européen vis-à-vis de ses citoyens par la fixation de frontières à l’Union européenne et poserait les bases nécessaires à la promotion d’une Grande Europe stabilisée sur les principes des équilibres géopolitiques.    

Annexe :

Conversation téléphonique révélée par Youtube le 6 février 2014 entre Mme Nuland (mariée au néo-conservateur Robert Kagan), sous–secrétaire d’Etat pour l’Europe et l’Eurasie au ministère des affaires étrangères des États-Unis et l’ambassadeur américain en USA en Ukraine Geoffrey Pyatt

Source : Youtube

Traduction:

source  : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/yeti-voyageur/2014/03/11/le-coup-detat-ukrainien-bien-ete-pilote-par-les-etats-unis-la-preuve-232493

 Victoria Nuland  : Que pensez-vous ?

Geoffrey R. Pyatt : Je pense que nous jouons. La pièce Klitschko [ex-boxeur et leader des émeutiers de la place Maïdan, ndlr] est évidemment l’électron le plus compliqué ici, en particulier le fait qu’on l’ait annoncé comme vice-Premier ministre. Vous avez vu mes notes sur la difficulté du mariage en ce moment, nous essayons d’obtenir une lecture très rapide pour savoir s’il fait partie de l’équipe. Mais je pense que votre raisonnement à son sujet, que vous aurez besoin de lui dire – je pense que c’est le prochain coup de téléphone que vous souhaitez organiser – est exactement celui que vous avez fait à Yats [surnom de Iatseniouk, actuel Premier ministre ukrainien]. Je suis heureux que vous l’ayez mis sur la sellette (…) Il s’inscrit dans ce scénario. Et je suis très heureux qu’il a dit ce qu’il a dit.

Victoria Nuland  : Bon. Je ne pense pas que Klitsch [surnom de Klitschko] devrait être dans le gouvernement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, je ne pense pas que ce soit une bonne idée .

Geoffrey R. Pyatt : Oui, je veux dire… je suppose… Pour ce qui est de sa non-participation au gouvernement, je serais d’avis de le laisser en dehors pour qu’il se consacre à ses obligations politiques. Je ne fais que réfléchir, pour trier les options pour avancer, nous voulons garder ensemble les démocrates modérés. Le problème sera avec Tyahnybok [leader du parti ultranationaliste Svoboda] et ses gars. Et, vous savez, je suis sûr que cela fait partie du calcul de Ianoukovytch [président ukrainien déchu].

« Je pense Yats, c’est le gars »

Victoria Nuland  : Je pense Yats, c’est le gars. Il a de l’expérience économique et de l’expérience de gouverner. C’est le gars. Vous savez, ce qu’il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. Nous aurons besoin de leur parler quatre fois par semaine. Vous savez, je pense juste que si Klitschko entre, il va devoir travailler à ce niveau avec Iatseniouk, c’est juste que ça ne va pas marcher…

Geoffrey R. Pyatt : Ouais, ouais , je pense que c’est vrai. Ok , bon. Souhaitez-vous que nous organisions un appel avec lui comme prochaine étape ?

Victoria Nuland  : Ma conception de l’appel dont vous parlez, c’est que les trois grands participent à leur propre réunion et que Yats leur propose dans ce contexte. Vous le savez, une conversation « trois plus un » ou « trois plus deux » si vous participez. C’est ainsi que vous le comprenez ?

Geoffrey R. Pyatt : Non, je pense que c’est ce qu’il a proposé, mais connaissant leur dynamique interne lorsque Klitchko était le chien dominant, il va prendre son temps avant de se pointer à une de leurs réunions et doit déjà être en train de parler à ses gars. Donc je pense que si vous vous adressiez directement à lui, cela aiderait à faire de la gestion de personnalités parmi les trois. Cela vous donne également une chance d’agir vite sur tout cela et nous permettra d’être derrière avant qu’ils s’assoient et qu’il explique pourquoi il n’est pas d’accord.

Victoria Nuland  : Ok. Bon. Je suis satisfaite. Pourquoi ne le contacteriez-vous pas pour voir s'il veut parler avant ou après.

Geoffrey R. Pyatt : Ok, je vais le faire. Merci.

« Nous pourrions faire tomber la crêpe du bon côté »

Victoria Nuland  : Je ne me souviens pas si je vous ai dit ou si je n’en ai parlé qu’à Washington : quand j’ai parlé à Jeff Feltman [sous-secrétaire des Nations unies pour les Affaires politiques] ce matin, il avait un nouveau nom pour le type de l’ONU : Robert Serry [envoyé de l’ONU en Crimée]. Je vous ai écrit à ce sujet ce matin.

Geoffrey R. Pyatt : Oui, j’ai vu cela.

Victoria Nuland  : Ok. Il a obtenu aujourd’hui, à la fois de Serry et de Ban Ki-moon (secrétaire général de l’ONU), que Serry vienne lundi ou mardi. Ce serait formidable, je pense, ça aiderait à souder ce projet et d’avoir l’aide de l’ONU pour le souder et, vous savez quoi, de baiser l’Union européenne [le fameux « fuck the EU »].

Geoffrey R. Pyatt : Non, exactement. Et je pense que nous devons faire quelque chose pour le faire coller à nous, parce que vous pouvez être sûre que s’il commence à prendre de l’altitude, les Russes vont travailler dans les coulisses pour essayer de torpiller. Et encore une fois le fait que c’est sur la place publique en ce moment, dans ma tête, je suis encore à essayer de comprendre pourquoi Ianoukovytch (…) ça. En attendant, il y a actuellement une réunion d’un courant du Parti des Régions et je suis sûr qu’il y a un débat très animé dans ce groupe à ce sujet. Mais de toute façon , nous pourrions faire tomber la crêpe du bon côté si nous nous agissons rapidement. Alors laissez-moi travailler sur Klitschko …

 


[1] Angela Merkel est venu rendre compte au président américain avant les négociations à Minsk II

 

[3] Entretien télévisé sur CNN avec Farid Zakharia le 1er février 2015: «  Mr. Putin made this decision around Crimea and Ukraine – not because of some grand strategy, but essentially because he was caught off-balance by the protests in the Maidan and Yanukovych then fleeing after we had brokered a deal to transition power in Ukraine »

 

[4] Une conversation téléphonique révélée par Youtube le 6 février 2014 entre Mme Nuland (mariée au néo-conservateur Robert Kagan), sous–secrétaire d’Etat pour l’Europe et l’Eurasie au ministère des affaires étrangères des États-Unis et l’ambassadeur américain en USA en Ukraine Geoffrey Pyatt a révélé l’objectif d’un changement de régime en Ukraine et la promotion de Arseni Iatseniouk comme premier ministre, ce qu’il est effectivement devenu après le coup d’Etat.  Les médias n’ont d’ailleurs retenu que la fameuse phrase « fuck the EU » de Mme Nuland et non pas l’essentiel de la conversation qui tourne autour des plans de changement de régime.  http://www.youtube.com/watch?v=KIvRljAaNgg. Voir en annexe la transcription en français de la conversation.

 

[5] http://wikileaks.org/

08WARSAW14092008-12-12 06:06 –  2010-12-06 21:09SECRETEmbassy Warsaw

 

[6] Pour preuve la nomination de la  ministre des finances de nationalité  Etats-unienne, les ministres géorgiens issus l’ancien gouvernement géorgien de Saakatchvili, l’ex-président géorgien Saakachvili lui même comme conseiller du président Porochenko annonçant être en charge de la coordination des futures livraisons d’armes à l’Ukraine. http://tass.ru/en/world/777630

 

[10] L'assemblée  autoproclamée  de Bosnie a rejeté le plan de Vance-Owen et le 18 juin 1993 et Lord Owen déclara que le plan était « mort ».

 

[13]  C’est la thèse de l’ancien ambassadeur allemand Dr. Hans-Friedrich von PLOETZ développée lors de la conférence du 24 février 2015 au Goethe Institute intitulée « European Security and Relations with Russia: Cooperation or Escalation? »  et organisée par The Hans Seidel Foundation, the Wilfried Martens Centre for European Studies and the Political Academy of the Austrian People's Party (PolAk)