La Russie :  retour à  l’Europe de l’Atlantique au Pacifique

La Russie : retour à l’Europe de l’Atlantique au Pacifique

Une tribune de Vladimir Poutine, plaidant pour une «  Europe de l’Atlantique au Pacifique » a été publiée dans le journal Die Zeit. à l’occasion de l’anniversaire de l’offensive allemande contre l’URSS en 1941 il y a 80 ans

Cette tribune démontre que la stratégie géopolitique de la «  Grande Eurasie » de la Russie (qui est aussi associée à un pivot vers l’Asie), n’est pas dirigée contre l’Europe, mais offre une réinitialisation des relations entre l’UE et la Russie, pour promouvoir un meilleur équilibre  entre la vision euro-atlantiste exclusive d’un grand Occident ( sous le slogan d’une  «  alliance des démocraties » avec les Etats-Unis comme chefs de file) et une« Grande Asie » avec pour centre de gravité la Chine et de son projet des routes de la soie.

Cette proposition est opportune pour positionner la Russie dans le contexte de la nouvelle présidence américaine et la tournée récente de Joe Biden en Europe, l’élection du futur chancelier en Allemagne à l’automne, et la présidentielle en France en 2022.

Vladimir Poutine se réfère dans sa tribune au général de Gaulle  :

 « Nous espérions que la fin de la guerre froide serait synonyme de victoire pour l’ensemble de l’Europe. Dans peu de temps, semble-t-il, le rêve de Charles de Gaulle d’un continent uni deviendra une réalité, non pas tant sur le plan géographique, de l’Atlantique à l’Oural, que sur le plan culturel et civilisationnel, de Lisbonne à Vladivostok. »

Le général de Gaulle avait promu et anticipé dès les années 60 une Europe de l’Atlantique à l’Oural lorsque la Russie serait sortie du communisme tandis que la chancelier allemand Willy Brand avait promu l’Ostpolitik pour opérer un rapprochement entre l’Allemagne de l’Ouest et l’URSS et les membres du pacte de Varsovie. L’objectif était de faire baisser les tensions dans le cadre de la guerre froide mais aussi avec en ligne de mire l’Allemagne de l’Est pour créer les conditions d’une future réunification. L’Ostpolitik a contribué à la chute de l’URSS selon les Allemands. Après la guerre froide, l’Allemagne avait proposé un partenariat économique avec la Russie en 2007 dans le cadre de sa vision d’une « Europe de  Lisbonne à Vladivostok ».   Plus récemment,  Dimitri Medvedev a remis sur la table l’idée d’un traité de sécurité entre l’Europe et la Russie au lendemain de la guerre Russie-Géorgie en 2008 et avait obtenu le soutien (déclaratoire) de Nicolas Sarkozy. Enfin Emmanuel Macron a proposé une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie en 2018 .

Ces initiatives pour une entente continentale après la guerre froide n’ont pas débouché sur une nouvelle configuration géopolitique européenne, car la vision euro-atlantiste est restée la boussole géopolitique principale des Etats membres de l’OTAN et l’UE. La rivalité géopolitique franco-allemande a aussi empêché de construire une synergie géopolitique franco-allemande. L’Allemagne s’est toujours méfiée jusqu’à présent de la vision du général de Gaulle susceptible de remettre en cause l’ancrage à l’ouest de l’Allemagne et son lien privilégié avec les Etats-Unis. La France s’est aussi inquiétée d’une déplacement du centre de gravité géopolitique européen vers l’Allemagne à l’occasion d’un  rapprochement germano-russe.

Comment surmonter cet obstacle ? Il y aurait aujourd’hui des avantages géopolitiques tant pour la France que pour l’Allemagne, mais aussi leurs partenaires européen à négocier un pivot vers la Russie, afin de ne pas rester enfermés dans la rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine, d’autant plus que la Russie propose une réinitialisation des relations avec l’Europe de l’Ouest. Un rapprochement franco-russe sur les questions géostratégiques et un rapprochement germano-russe sur les questions économiques, pourraient contribuer à  surmonter la fracture  en plein cœur de l’Europe avec la Russie. Sur le modèle de l’Europe des nations, il s’agirait d’atteindre un meilleur équilibre géopolitique dans le monde, au niveau pan-européen, mais aussi entre la France et l’Allemagne au sein d’un nouveau triangle franco-germano-russe. 

L’Allemagne et la France sauront-elles saisir cette fois-ci cette nouvelle occasion ?  Lors du conseil européen des 24 et 25 juin, la proposition franco-allemand de tenir un sommet UE -Russie n’a pas fait l’unanimité. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche c’est à dire le centre de gravité géopolitique de l’UE mais aussi la Grèce et Chypre ont soutenu l’initiative. la Pologne, les pays Baltes mais aussi les Pays-Bas qui défendent une vision euro-atlantiste exclusive ont bloqué l’initiative. Ces Etats s’arc-boutent sur une UE alignée sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis et du Royaume-Uni . Cet épisode montre que l’UE n’est pas le format adéquat pour une réinitialisation des relations avec la Russie. L’avenir de l’Europe appartient aux coalitions variables, non seulement en dehors de l’UE qui reste bloquée dans des postures obsolètes, mais une entente à l’échelle continentale avec la Russie, la clé pour qu’une alliance des nations européennes atteigne un  poids géopolitique suffisant  dans le cadre de la rivalité des puissances dans le monde