Élections législatives de 2019 en Ouzbékistan : soutien populaire aux réformes graduelles

Élections législatives de 2019 en Ouzbékistan : soutien populaire aux réformes graduelles

11 février 2020 0 Par Pierre-Emmanuel Thomann

Le 22 décembre dernier, les citoyens d’Ouzbekistan ont participé aux  premières élections législatives depuis que le président Mr. Shavkat Mirziyoyev a lancé une politique de réformes et d’ouverture, de l’Ouzbékistan depuis son élection en septembre 2016. le taux de participation s’est chiffré à près de 70% et  plus de 13,9 millions de personnes ont accompli leur devoir électoral. Le déroulement des élections sur le territoire ouzbek a été suivi par plus 140 000 observateurs locaux et plus de 800 représentants de neuf organisations internationales. (CEI, OCS, OSCE, OCI… ) provenant de plus de  70 pays différents, USA, Russie, pays membres de l’UE, pays d’Asie et pays africains.

La chambre législative est la chambre basse du parlement de l’Ouzbékistan qui compte deux chambres. Elle est composée de 150 sièges dont 135 pourvus pour cinq ans au scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans autant de circonscriptions électorales.

Le Parti libéral démocrate (Uzlidep), principale formation favorable au président,  a obtenu 53 sièges, devant le Parti de la renaissance démocrate nationale (36 sièges), suivi ces trois autres formations, le Parti social-démocrate (24) le Parti populaire démocratique ( 22), et le Mouvement écologique d’Ouzbékistan (15)  auront des députés comme durant la précédente législature.

L’élection s’est déroulée dans un climat de plus grand pluralisme par rapport aux scrutins précédents car le président de l’Ouzbékistan, Chavkat Mirzioïev, avait autorisé et même encouragé les candidats aux législatives à essayer de se différencier. Les jours précédent l’élection des débats politiques publics ont été organisés sur tout le territoire.

Le message envoyé par les électeurs est le choix de la stabilité politique et la volonté de poursuivre dans la même direction. Le  président Mr. Shavkat Mirziyoyev avait annoncé dès le début de son mandat  que sa priorité  était de poursuivre les réformes de manière résolue et consistante. Cette approche est populaire car l‘Ouzbékistan s’est modernisé de manière constante, mais sans thérapie de choc. C’est un processus  équilibré, lent et graduel qui satisfait une grande partie de la population. Ces réformes couvrent progressivement toutes les sphères de la société et il n’y aura pas de retour en arrière face aux exigences croissantes des citoyens.  Cette transformation s’opère sur l’entièreté de son territoire, ce que tout observateur extérieur peut aisément constater si l’on prend la peine de visiter le pays pour constater les évolutions.

Le régime politique de l’Ouzbékistan ne devrait toutefois pas être évalué uniquement à travers les lunettes de la démocratie de type européenne de l’Ouest. Le régime s’est constitué en fonction des défis actuels spécifiques à l’Ouzbékistan, de ses spécificités historiques et de sa géographie. L’Ouzbékistan est un pays d’Asie, ou la notion de groupe et sa cohésion est considérée comme aussi importante que l’épanouissement individuel. L’individualisme occidental n’est donc pas en Ouzbékistan,  l’alpha et l’oméga de la politique. C’est pour cette raison que les partis politiques en Ouzbékistan soutiennent tous les réformes du président  destinées à  transformer de manière  progressive  le pays, mais avec des nuances de plus en plus sensibles.

 

Avec la transformation graduelle et inexorable de la société ouzbek, les revendications et les interprétations contradictoires des réformes en cours vont forcément aussi émerger, d’où  la nécessité pour les dirigeants de  maintenir  un cap stratégique  et une maîtrise des évolutions afin de ne pas dilapider les progrès par une fragmentation sociétale telle quelle a pu être observée dans les pays qui ont testé les thérapies de choc.     

Ce vote a aussi exprimé la volonté des citoyens de persévérer sur la voie de  la construction de l’État-nation ouzbek depuis son indépendance d’une manière originale. L’Ouzbékistan comporte en effet de nombreuses minorités ethniques et religieuses qui reflètent son histoire mouvementée et son territoire comme terre de passage des populations. Le nouveau président a ainsi mis en  seconde priorité,  le maintien des bonnes relations entre citoyens d’origine ethniques et de confessions religieuses variées, à un moment où les conflits prolifèrent dans le monde.

Les progrès de l’Ouzbékistan en matière de modèle démocratique ont été reconnus par l’OSCE. Cette décision démontre aussi l’importance grandissante de l’Ouzbékistan pour la stabilité de l’Eurasie. En tout, plus de 600 observateurs internationaux ont été invités pour suivre les élections. Cela démontre aussi la volonté d’ouverture du pays, mais bien évidemment, en gardant avec raison la maîtrise de leur processus de modernisation.

L’organisation au niveau local sur le territoire joue un rôle important dans en Ouzbékistan qui est un pays qui a des traditions et des coutumes très anciennes,  et qui souhaite les préserver. Les Mahallas, communautés locales Ouzbèques, sont des structures privilégiées traditionnelles ou se nouent des relations de confiance, apportant solidarité et résilience. L’Ouzbékistan a aussi conservé un héritage laïque qui est un atout pour l’élaboration d’une identité nationale.

Le gouvernement ouzbek poursuit une voie de  construction de l’État-nation ouzbek depuis son indépendance d’une manière originale. L’Ouzbékistan comporte en effet de nombreuses minorités ethniques et religieuses qui reflètent son histoire mouvementée et son territoire comme terre de passage des populations. Le nouveau président a ainsi mis en  seconde priorité,  le maintien des bonnes relations entre citoyens d’origine ethniques et de confessions religieuses variées, à un moment où les conflits prolifèrent dans le monde.

La construction progressive d’un État de droit qui intègre les différentes composantes ethniques, territoriales, et religieuses dans un ensemble national stable doit être élaboré par les Ouzbeks selon un processus nécessairement lent pour sa légitimation. L’erreur de favoriser un modèle de démocratie occidentale importé dans la précipitation, qui sera illégitime, inapproprié, et inefficace a été évitée. Le modèle ouzbek de modernisation préfère ainsi les réformes réfléchies et adaptées au contexte ouzbek, plutôt que la thérapie de choc qui a décomposé de nombreux pays dans le monde.

Chaque pays doit avoir le droit de défendre son propre modèle. Les régimes politiques occidentaux des pays qui se considèrent comme des modèles universels sont aussi différents entre eux. Le régime politique de  l’Ouzbékistan ne ressemblera jamais complètement à celui d’un pays occidental, au même titre que le régime présidentiel de la république française ne ressemblera jamais à celui du régime parlementaire d’une démocratie nordique, ou d’un État fédéral.

Le vote des citoyens uzbeks  a aussi exprimé la satisfaction d’une majorité des citoyens envers la préservation de la paix dans un environnement régional très difficile. Le conflit en Afghanistan à ses frontières n’est pas clos  et les relations compliquées entre pays d’Asie centrale et les rivalités géopolitiques mondiales  convergent dans cette région pivot d’Eurasie.

Si la plupart des États poursuivent une stratégie d’alliance cherchant à se mettre sous la protection d’un grand État pour assurer leur sécurité, l’Ouzbékistan cherche à se constituer comme un pôle politique régional selon le principe de l’indépendance nationale.  L’Ouzbékistan, depuis sa position géographique du milieu, pratique une politique subtile d’équilibre  visant à une équidistance entre  ses  voisins immédiats et les grandes puissances qui manœuvrent sur le continent eurasien. L’Ouzbékistan préserve des relations fortes avec la Russie et les pays de la CEI et diversifie ses partenariats, au delà de ses voisins immédiats, avec la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam l’Inde, le Pakistan,  les États-Unis,  l’Union européenne selon une diplomatie multidirectionnelle.

L’appartenance de l’Ouzbékistan aux organisations internationales reflète cette volonté d’équilibre selon les différents axes, les espaces euro-atlantique et méditerranéen, russo-sibérien, vers la péninsule arabique,  vers l’Asie du Sud, l’Asie du Sud–Est pacifique.

L’ Ouzbékistan est membre des Nations unies, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), La Communauté des Etats Indépendants (CEI), , de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), l’Organisation de Coopération Centrasiatique (OCC) et l’Organisation de la conférence islamique (OCI) pour assurer la stabilité et la sécurité et la prospérité par une présence politique dans ces différentes enceintes.

Conclusion : l’Ouzbékistan et l’Europe

Comprendre les enjeux aux quel fait face l’Ouzbékistan nécessite une grille de lecture  privilégiant la position géographique du pays et son héritage historique, et non pas une interprétation calquant les clés de lecture  occidentalistes.

Si l’on se penche sur les intérêts des Européens, c’est la stabilité qui est primordiale pour cette région, qui fait fonction de zone tampon et d’endiguement des instabilités d’Asie du Sud-Est. Dans l’optique du monde multipolaire, les Européens auraient un intérêt à approfondir les relations avec un État qui valorise la culture et l’héritage civilisationnel, et la stabilité pour faire une alliance face aux déstabilisations de l’arc sud de crise

L’intérêt  des européens pour l’Ouzbékistan ne doit pas être uniquement énergétique, ou sécuritaire, comme un territoire utile pour leur propre sécurité, même si cela est aussi important. Dans l’optique du monde multipolaire, les Européens auraient un intérêt à approfondir les relations avec un État qui valorise la culture et l’héritage civilisationnel.

L’intérêt commun est donc aussi une vision de l’histoire qui valorise la richesse culturelle. Cette héritage civilisationnel sur les temps longs caractérise le cœur de l’ancien monde à l’Est et à l’Ouest. C’est sur cet héritage que devrait se bâtir une identité nationale forte, mais ouverte aux coopérations internationales. Face aux idéologies de l’interdépendance, et comparé aux pays qui ont fait le choix de la fuite en avant dans la mondialisation, l’Ouzbékistan a fait le choix de la prudence et du long-terme dans un environnement international de plus en plus difficile à maîtriser.

Il n’y pas de maîtrise du destin d’un peuple, d’une nation, sans ancrage historico-territorial.  L’Ouzbékistan, territoire à l’héritage millénaire, a tout intérêt à donner la priorité à la transmission des héritages passés aux générations futures parallèlement à sa modernisation progressive. La tradition ouzbèque qui consiste à planter un jardin lorsqu’un enfant nait, illustre bien la nécessaire perpétuation des héritages passés aux générations futures.

Les bouleversements au sud de la Méditerranée ne doivent ainsi pas faire oublier aux Européens que le flanc oriental de l’Union européenne , qui inclut l’Asie centrale et l’Ouzbékistan en son coeur géopolitique, est vital pour leur sécurité mais aussi pour leur prospérité. La construction d’alliances dans la mondialisation est nécessaire et un rapprochement plus substantiel avec l’Ouzbékistan serait un atout pour l’Europe.

L’Europe, face aux déstabilisations croissances de son flanc Sud, à intérêt à se rapprocher de son flanc oriental,  dans un grand mouvement d’ensemble dans cette zone immense d’opportunités incluant la l’Ouzbékistan qui constitue le pivot d’Asie centrale mais aussi la Russie et son hinterland sibérien, et le Caucase.