L’Europe d’Angela Merkel : la défiance française

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Le nouveau président français Emmanuel Macron et la Chancelière allemande, Angela Merkel ont annoncé vouloir donner une nouvelle impulsion au couple franco-allemand.  La proximité de vue affichée par le nouveau couple franco-allemand  ne doit cependant pas faire illusion Outre le fait que la relance du couple franco-allemand  est devenu un rituel pour chaque nouveau couple franco-allemand, les divergences de fond ne doivent pas être occultées, mais au contraire bien identifiées pour établir le diagnostic approprié avant d'administrer le remède adéquat.   

L'élection d'Emmanuel Macron, le candidat préféré de Berlin, au deuxième tour de la présidentielle, ne doit pas faire oublier le premier tour de l'élection présidentielle, où la rivalité de pouvoir entre l'Allemagne et la France s'est révélée être une préoccupation  fondamentale pour  la majorité des  candidats derrière le brouillard des débats.

Même si elle a été peu médiatisée en raison des affaires qui ont été montées en épingle par les médias, la question des relations franco-allemandes a en réalité occupé une place  centrale dans les propositions des candidats vis à vis du projet européen et révélé des approches différentes. Les résultats du premier tour ont montré qu'une majorité d'électeurs avaient une opinion très critique voire hostile à l'Union européenne, et un rapport difficile avec l'Allemagne d'Angela Merkel. Cette réalité devrait constituer une sonnette d'alarme pour les dirigeants des deux pays, car cette fissure franco-allemand risque de s'agrandir  si la stratégie du déni des réalités est poursuivie par le nouveau couple fracno-allemand.   

Marine Lepen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau, ont tous exprimé leur objectif de procéder à une refonte de l'UE et un rééquilibrage franco-allemand substantiel. François Fillon, avait aussi annoncé son intention de rééquilibrer le couple franco-allemand, mais en promettant de réformer la France et de préserver l'UE, position assez ambigüe dont on peut mettre aujourd'hui en doute la sincérité puisqu'il a appelé à voter pour Macron au second tour de la présidentielle.  

Emmanuel Macron et Benoït Hamon, ont de leur côté, affiché  une allégeance plus forte encore de la France à l'Allemagne. mis à part le fonctionnement de la zone euro

Les différents franco-allemands ont notamment été soulignés de manière explicite par deux candidats, Marine Lepen et Jean-Luc Mélenchon.

Marine Lepen avait ainsi déclaré lors du débat de l'entre deux tours de la présidentielle:   «La France sera dirigée par une femme : ce sera moi ou Mme Merkel»[1]. Jean-Luc Mélanchon, candidat de la France insoumise avait déclaré le 17 mars 2017: "Je veux que mes partenaires sachent que je ne suis pas Alexis Tsipras. Il y a zéro chance de me faire céder en me faisant peur. La France est assez puissante pour être entendue. personne n'a jamais tenu tête à madame Merkel[2]. Nicolas Dupont-Aignant a également révélé une proximité de vue avec Marine Lepen sur cette question d'ou leur alliance pour le deuxième tour de l'élection.

Le président français, vice-chancelier  d'Angela Merkel ?

De manière plus frontale, Marine Lepen, avant le premier tour des élection présidentielles en 2017, avait déclaré au Parlement européen en octobre 2015 devant François Hollande et Angela Merkel : " Merci Madame Merkel de venir avec votre vice-chancelier, administrateur de la province France, l'intérêt de la France n'est pas de donner ce spectacle affligeant d'une France à la remorque de l'Allemagne sur la crise migratoire". "Je ne vous reconnais pas le droit de disposer de nous dans une tentative absurde de domination allemande de l'Europe"[3].

L'image d'un président français relégué au rang de vice-chancelier de la Chancelière Allemande n'est pas nouvelle et à déjà été évoquée en 2011 par un journaliste allemand Andreas Rinke. Il l'a fait à propos des équilibres de  pouvoir au sein du couple Merkel-Sarkozy lors de la crise de l'euro.

L'analogie d’Andreas Rinke[4] entre le gouvernement fédéral allemand et le système européen à l’occasion de la crise de l’euro reste éclairante sur les nouveaux équilibres de pouvoir. Selon ce journaliste, la chancelière est devenue la chancelière européenne car elle a transféré au niveau européen, son style de gouvernement national. Elle devient le centre décisionnel, car l’euro ne peut être sauvé, que par l’approbation des Allemands. Le traité de Lisbonne ne peut pas être modifié de manière fondamentale après tant d’années de débats.

Le Conseil européen deviendrait en quelque sorte le gouvernement économique de l’Europe.

Dans ce gouvernement européen, le pouvoir de la chancelière est analogue au pouvoir qu’elle détient au niveau national avec un droit de veto sur les décisions. Selon cette analogie, les chefs d’État et de gouvernement peuvent être considérés comme des ministres.

Le rôle du vice-chancelier revenait au président français Nicolas Sarkozy. La chancelière et le vice-chancelier négocient au préalable des décisions, qui sont ensuite proposées aux autres chefs d’État. Une nouvelle hiérarchie du pouvoir se met aussi en place dans les États. Les décisions européennes se déplacent vers le Conseil européen, tandis que les ministres nationaux sont moins associés aux décisions importantes car les réunions du Conseil en formations spécialisées, n’ont plus le même poids politique que le Conseil européen. Cette interprétation est à rapprocher de l’idée selon laquelle la politique européenne est devenue en partie une politique interne des États (Innenpolitik) avec des négociations et des répercussions croisées entre les politiques internes des États, mais aussi des rapprochements entre partis qui se superposent à la logique nationale et n’entre plus tout à fait dans le registre de la politique étrangère.

Cette représentation d’une européanisation à la faveur de la crise de l’euro est plus partagée chez les Allemands que chez les Français.

Cette conception heurte portant frontalement la notion de souveraineté et l'attachement à l'État-nation en France. 

Angela Merkel, obstacle à une réforme du projet européen

Malgré la  remise à l'honneur, en termes de communication politique, de l'image d'un couple franco-allemand uni sur les questions européennes, cette représentation véhiculée dans les médias n'effacera pas les divergences croissantes entre les deux nations.  

La collision franco-allemande sur ces questions de fond est donc hautement probable, a plus long terme, malgré l'élection d'Emmanuel Macron, car le retour de la Nation pour une part croissante des citoyens français est en avance sur l'Allemagne encore sous l'emprise de l'idéologie "Habermassienne", et ce malgré la même tendance observée à la CDU et CSU au sein du personnel politique issu de la nouvelle génération et la  montée du parti AFD.

Ce n'est surement pas un hasard, si Emmanuel Macron avait rencontré  à Berlin le ministre Sigmar Gabriel  et le philosophe Jürgen Habermas, promoteur du patriotisme constitutionnel  du dépassement de l'Etat-nation dans une Europe intégrée, avant son entrevue avec Angela Merkel. Cette proximité de vue qui avait été affichée par le candidat français est en grand décalage avec la majorité des Français. Ne pas en tenir compte sera périlleux pour la légitimité du nouveau président.      

Ces divergences s'inscrivent dans un rapport différencié face aux enjeux géopolitiques fondamentaux en Europe et dans le monde.  Il s'agit plus précisément du rapport de plus en plus distancié entre la France et l'Allemagne par rapport au degré d'ouverture à la mondialisation et ses flux selon la conception libérale, et la politique étrangère euro-atlantiste vis à vis de la Russie. La crise initiée par le Brexit annonce aussi éventuellement  des modifications des équilibres géopolitiques  dans l'UE, en particulier entre l'Allemagne et la France. Avec le Brexit, c'est le modèle de l'Europe des nations qui devrait s'imposer plus clairement pour la majorité des Français, a l'inverse d'une fuite en avant vers plus d'intégration vers une Europe fédérale, malgré les déclarations du nouveau couple franco-allemand.    

Derrière cet enjeu se cache la nouvelle double asymétrie géopolitique entre l'Allemagne et la France depuis la fin de la guerre froide. L'Allemagne réunifiée est devenue la puissance économique centrale de l'Union européenne et le couple franco-allemand est devenu asymétrique dans l'Union européenne. La France cherche à  nouveau à se repositionner comme chef de file de l'Union européenne sur les questions de sécurité dans le contexte du Brexit,  Les finalités européennes de rivales de l'Allemagne et de la France et leur perception de sécurité   divergentes  constitue un obstacle à un saut qualitatif du projet européen et prolonge les compromis précaires et les non dits géopolitiques.    

Une tentative de relance du couple par un alignement de la France sur les conceptions allemandes ordolibérales a peu de chances de réussir. La France ne sera jamais l'Allemagne, à cause d'un position géographique, une population et une histoire différente. Toute tentative d'importer un  modèle extérieur n'a jamais fonctionné. Toute tentative de gommer ces différences mènera à l'échec et empêchera une coopération nécessaire entre les deux pays mais en respectant leurs différences. Les préoccupations des Allemands exprimées  dans la presse allemande avant le première visite d'Emmanuel Macron sur les intentions du nouveau président ont révélé les divergences persistantes entre les deux pays sur la gestion et l'avenir de la zone euro. Sur les questions de sécurité, tant que les priorités géopolitiques ne se seront pas rapprochées, les discussions sur les capacités militaires resteront insuffisantes pour promouvoir une autonomie stratégique de l'Union européenne.  

Sans rééquilibrage géopolitique franco-allemand et dialogue franc sur les finalités européennes, la fissure franco-allemande risque de s'agrandir malgré les tentatives de relance du couple Merkel-Macron. Cela signifie, qu'à l'inverse d'un alignement sur les conceptions européennes d'Angela Merkel, le gouvernement français doit aussi se montrer ferme et être dé capable de s'opposer à la chancelière.

Un rééquilibrage serait notamment nécessaire vis à vis de la question de l'ouverture des frontières  face aux migrations qui ont été imposées de manière unilatérale par la chancelière allemande sans consultation préalable de la France, et qui va accélérer les clivages au sein de l'Union européenne. La décision de la commission européenne d'engager des procédures de sanctions à l'égard des pays récalcitrants (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) à l'accueil forcé des clandestins sur leur territoire est une fuite en avant dommageable pour la confiance entre nations européennes. Cette décision fait aussi fi du lien entre immigration massive et sécurité, afin de privilégier  la vision idéologique de la chancelière allemande et de son gouvernement d'une Union européenne ouverte, libérale, immigrationniste et multiculturaliste, c'est à dire ouverte à tous les vents.

Une approche plus protectrice des intérêts économiques des Etats membres de l'Union européenne face aux stratégies géoéconomiques agressives de ses concurrents  devrait aussi être enfin abordée.    

La politique  d'isolement et de sanctions vis à vis à vis de la Russie et promue principalement par la chancelière allemande  n'a aboutit à aucun changement notable de la part de Vladimir Poutine et devrait aussi faire l'objet d'une révision.    

Une approche plus ferme de la France afin de procéder à un réforme préalable de l'Union européenne, trop modelée par les préoccupations de la chancelière allemande, pour faciliter les réformes françaises serait ainsi bienvenue, à l'inverse de ce qui a été annoncé.  C'est une condition nécessaire à un meilleur équilibre géopolitique franco-allemand  et donc permettre une relance durable du projet européen.   

 


[1] http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/05/04/35003-20170504ARTFIG00003-macron-le-pen-les-dix-punchlines-d-un-debat-pugilat.php

 

 

 

[2] Entretien avec Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV.

 

 

 

[3] http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2015/10/07/25002-20151007ARTFIG00310–strasbourg-le-pen-traite-hollande-de-vice-chancelier-de-merkel.php

 

 

 

[4] Andreas RINKE, The EU chancellor, Internationale Politik (IP), Global edition, 2/2011, p.50-53.