La France alliée aux États-Unis d’Amérique: entre coopération, rivalité et alignement géopolitique

La France alliée aux États-Unis d’Amérique: entre coopération, rivalité et alignement géopolitique

Situés géographiquement de part et d’autre de l’océan Atlantique, la France et les États-Unis ont été des alliés dans l’histoire en raison d’une complémentarité géopolitique. Sur les temps longs, la France fut  la première alliée des États-Unis dont elle a soutenu l’indépendance contre l’Angleterre au XVIIIème siècle. Depuis, la France et les États-Unis ne se sont jamais déclaré la guerre. Toutefois, la rivalité géopolitique entre la France et les États-Unis est aussi une réalité qui structure la relation.

De par leur histoire chacune marquée par une révolution issue de la philosophie des Lumières, les deux nations ont  aussi eu un rapport au monde assez identique qui leur a offert des opportunités de synergies  idéologiques, mais qui a abouti aussi à une rivalité inévitable.

La France comme les États-Unis se considèrent comme des puissances d’envergure mondiale. La France et les États-Unis ont un siège permanent au conseil de sécurité et possèdent l’arme nucléaire. L’asymétrie de puissance entre les deux nations s’est pourtant constamment accru depuis la Première guerre mondiale et la situation de partenaire subalterne de la France explique les frictions récurrentes.

Les États-Unis sont un État-continent  situé en Amérique entre deux océans. Ils possèdent des bases militaires dans le monde entier mais concentrées autour de l’Eurasie. La France, de taille modeste à l’échelle mondiale mais en position charnière en Europe de l’Ouest possède des « confettis de l’empire » issus de la période coloniale dans le reste du monde. Avec les zones économiques exclusives (ZEE) La France possède pourtant après les États-Unis, le deuxième territoire maritime au monde, et le premier domaine sous-maritime.

Sur les temps longs, les deux  États prétendent aussi à un rôle historique et ont tous deux un message universel  à promouvoir issu de l’héritage de Lumières: la France a exporté le modèle de l’ État-nation républicain et l’universalisme issu de la révolution française, tandis que les États-Unis, dont la révolution et l’indépendance, avec le soutien déterminant de la France, a précédé la révolution française, ont  exporté le modèle républicain mais teinté de la démocratie libérale anglo-saxonne. Si ces postures peuvent  offrir des plages de coopération, elles entrent  aussi  en rivalité, car les universalismes, même proches, ne sont pas identiques. De plus  leurs messages  universels respectifs  sont aussi des outil d’influence et de pouvoir des deux nations dans le monde qui induit une rivalité sur différents espaces géographiques.

Au XXème siècle, les États-Unis ont donné la profondeur stratégique utile à la France pour faire face aux menaces venant d’Europe de l’Est  (Allemagne) et Eurasie (Union soviétique), puisque la France est située à l’extrême cap occidental de l’Eurasie. Du point de vue des États-Unis, l’alliance avec la France comme les autres pays d’Europe de l’Ouest et du Centre est utile pour affirmer sa présence dans le Rimland, cet espace côtier qui constitue un pivot dans la stratégie géopolitique des États-Unis vis à vis de l’Eurasie, selon la vision  héritée du géopoliticien Spykman afin d’empêcher l’émergence d’une puissance rivale sur le continent Eurasien.

Les États-Unis  ont soutenu la France à  la fin de la Première Guerre mondiale en 2017 et les États-Unis ont libéré le territoire de la  France à la fin de la Deuxième Guerre mondiale contre l’Allemagne. Ils ont ensuite poussé à la constitution d’une Europe unifiée pour faire contrepoids à l’URSS pendant la Guerre froide. Les États-Unis sont donc devenus les garants de l’équilibre géopolitique en Europe. Toutefois l’arrivée tardive des États-Unis lors des deux guerres mondiales et l’incertitude à propos de leur protection  nucléaire en Europe pendant la Guerre Froide a toujours été une source de méfiance de la part de la France. D’où la décision de la France d’accéder au rang de puissance nucléaire, afin de ne plus dépendre des États-Unis pour ses intérêts vitaux et éviter une défaite militaire comme celle de 1940.

La France, tributaire  de la posture géopolitique américaine ?

L’asymétrie de puissance entre les deux nations a abouti à une alliance inégale que la France tente de compenser par des constructions géopolitiques variables.

Le général de Gaulle a été l’artisan de cette tentative de rééquilibrage. et aujourd’hui encore, la relation entre les États-Unis et la France est encore mesurée à  l’aune de la concordance ou de l’éloignement avec la vision stratégique du général de Gaulle.

Revenons au rôle des États-Unis dans le projet européen. et des postures successives de la France.

Le projet européen des années 1950 est largement issu de la pression des États-Unis pour unifier l’Europe dans une construction fédérale destinée à faire face à l’URSS. Dans la France de la IVème république, le gouvernement français a repris les idées de  Jean Monnet[i] qui entretenait un rapport très étroit avec les Américains. Son idée était de construire une Europe unifiée comme sous-ensemble de l’espace euro-atlantique avec les États-Unis comme chef de file et balancier géopolitique, afin équilibrer l’Allemagne mais aussi l’URSS. Ce dispositif devait aussi aboutir à un partenariat plus équilibré avec les États-Unis mais selon une unité occidentale. Ce tropisme américain a toutefois été concurrencé par la vision stratégique du général de Gaulle (1958 à 1969)

La vision géopolitique du général de Gaulle arrivé au pouvoir en 1958 et fondateur de  la Vème république était très différente.

Le général de Gaulle (1958 à 1969) a tenté de maximiser le pouvoir de la France au sein de l’alliance avec les Anglo-Saxons en proposant un triumvirat Washington-Londres-Paris dans l’OTAN. Après le refus des États-Unis, le général de Gaulle a pris une autre direction tactique avec le rapprochement franco-allemand sur les questions de défense pour atteindre plus d’indépendance  européenne.  Cela  a abouti quelques années plus tard au retrait de la  France des structures intégrées de l’OTAN en 1966.

Selon sa vision, le  projet européen centré sur l’alliance franco-allemande devait être un moyen de faire contrepoids non seulement à  l’URSS, mais aussi les États-Unis, tout en maintenant un équilibre avec l’Allemagne qui était alors divisée. Cette Europe européenne, reposait sur une Europe des patries, et non pas fédérale. Il refusait la logique des blocs. La France était le chef de file du projet européen. La France était ancrée dans l’Alliance atlantique, tant que l’URSS restait la menace principale, mais la France devait avoir une marge de manœuvre maximale dans cette alliance. La France était dans l’Alliance atlantique, mais sans intégration militaire dans l’OTAN, en préservant l’indépendance et la souveraineté de la France, notamment avec l ‘arme nucléaire.

Le général de Gaulle a aussi anticipé l’avènement d’une  Europe de l’Atlantique à l’Oural lorsque la Russie serait sortie du communisme. Quand il l’estimait nécessaire, il pratiquait aussi la doctrine de l’équilibre entre États-Unis et URSS, pour élargir la marge de manœuvre de la France.

Cette vision de la souveraineté et de la grandeur de la France portée par le général de Gaulle a fait perdurer jusqu’à aujourd’hui l’idée que la France est alliée, mais pas alignée sur les États-Unis. Cette vision alternative portée essentiellement par la France a eu pour conséquence un clivage fort jusqu’à aujourd’hui entre partisans de l’ « Europe intégrée » et atlantiste avec un lien de subordination avec les États-Unis mais exprimé sous le terme de complémentarité avec l’OTAN,  et  l’« Europe des nations ».

Ce débat refait régulièrement surface dans les débats politiques en France, mais il est resté jusqu’à présent minoritaire dans les représentations qui ont cours dans les institutions européennes à Bruxelles où la vision euro-atlantiste et exclusive domine. Le projet européen est donc resté hybride pour la France car issu de deux conceptions différentes. Les finalités géopolitiques du projet européen n’ont donc jamais été tranchées.

Il faut toutefois intégrer les temps plus longs, et souligner que la Russie a  aussi toujours fait partie des calculs d’équilibres en Europe, surtout avant l’émergence des États-Unis en 1917.

La France et la Russie ont des positions géographiques aux deux extrémités du continent eurasien, tandis que l’Allemagne a une position centrale en Europe.

La France a pu contenir l’Allemagne lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale en 1914 grâce à l’alliance franco-russe de revers dirigée contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, afin de prendre l’Allemagne en étau et l’obliger à se battre sur deux fronts. Mais la révolution bolchévique de 1917 a affaibli la Russie et provoqué la méfiance et l’hostilité dans une grande partie de la  classe politique française. Les États-Unis sont devenus l’allié principal de la France  à la fin de la Première Guerre mondiale. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, l’URSS fut pourtant aussi considérée comme un allié important pour le général de Gaulle contre l’Allemagne. La France doit aussi son siège permanent au conseil de sécurité  à l’ONU grâce au soutien de Churchill mais aussi de Staline. Le général de Gaulle a  considéré  l’URSS comme un contrepoids vis à vis de l’Allemagne et les  États-Unis à plusieurs occasions.  Comme un rapprochement durable avec l’URSS n’a pas été possible de son vivant, il a tout de même anticipé ce scénario, qui se matérialisera avec l’Ostpoltik allemande dans les années 1970[ii].

La fonction d’équilibre de la Russie reviendra sans doute à l’avenir, dans le contexte actuel de l’émergence d’un monde multicentré et fluide. Elle touche comme dans le passé à la question de l’équilibre entre la France et les États-Unis.

Dans la configuration géopolitique de l’après guerre froide, La France a d’abord échoué à élargir le projet européen à la Russie sur le principe d’une grande Europe, avec le projet d’Europe confédérale proposée par François Mitterrand en 1989, abandonné en 1991, sous la pression des États-Unis, la méfiance de l’Allemagne et la désapprobation des pays d’Europe centrale et orientale [iii].

L’alliance militaire avec les Anglo-Saxons,  les  États-Unis et le Royaume-Uni, est restée pour la France un moyen d’équilibrer l’Allemagne, puissance économique et civile et  puissance centrale de l’Union européenne en raison de sa position géographique. La France a espéré augmenter sa marge de manoeuvre en se rapprochant des États-Unis dans le contexte du monde unipolaire de la fin des années 2000. La France a rejoint sous la présidence Sarkozy en 2008, les commandements intégrés de l’OTAN, hormis les plans nucléaires. L’objectif était de gagner la confiance des membres européens pour construire une Europe de la défense comme pilier de l’OTAN [iv]. Ce projet en stagnation a repris des la vigueur avec les incertitudes liées à la présidence Donald Trump.

Après ce retour nécessaire dans l’histoire récente pour comprendre la situation actuelle, revenons aux enjeux de la relation franco-américaine en ce début de XXI ème siècle.

Français et Américains sont deux nations qui se  comprennent bien sur le plan de la puissance et de l’outil militaire et la vision du monde comme théâtre de rivalités géopolitiques. La méfiance d’un axe germano-russe a aussi toujours existé  chez les Français atlantistes, aboutissant au maintien de l’alliance avec les États-Unis.

Toutefois, un débat croissant entre les Français atlantistes qui privilégient la relation avec les États-Unis et les Français néo-gaullistes qui préfèrent une relation plus équilibrée avec les États-Unis et qui intègrent la perspective continentale, émerge dans le contexte de crise de l’UE, de l’incertitude provoquée par l’élection de Donald Trump, et le processus  du Brexit.

Le débat entre néoconservateurs et Gaullo-Mitterrandistes  

La géopolitique, c’est aussi la rivalité des modèles idéologiques et politiques sur un même territoire, avec pour enjeu l’influence sur les populations.

Les Français atlantistes et européistes défendent la démocratie libérale et multiculturaliste, qui selon leur vision, devrait rester le modèle prépondérant dans l’Union européenne, ce qui permettrait de préserver un lien étroit transatlantique, malgré les idées de Donald Trump. Ce modèle, issu  des idées politiques libérales et de la gauche américaine a été promu en Europe et n’a cessé d’irriguer les idées politiques en Europe selon un processus d’ « américanisation » variable selon les pays, la France étant pourtant l’un des pays les moins américanisés au sein de l’Union européenne.  Le terme généralement utilisé est « occidentalisation », qui apparait plus neutre, mais masque la hiérarchie en matière de modèle politique et culturel entre l’Europe et les  États-Unis depuis la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui. La fin de la Guerre froide et la période unipolaire du monde avec les États-Unis comme seule puissance inégalée a permis la généralisation du modèle occidental qui a commencé à s’étendre vers  les pays de l’ex-URSS, la Russie comprise. Du moins jusqu’au coup d’arrêt donné par le président Russe Vladimir Poutine en 2007 à l’occasion de son discours à la conférence de Munich en 2017, et lors du conflit en Géorgie (2008) et en Ukraine (2014).

Selon ce tropisme idéologique, c’est l’exportation du modèle démocratique qui compte avant tout et l’avènement d’un monde globalisé et ouvert. Ils sont proches des idées de la « société ouverte »  et estiment que l’alliance entre les États-Unis et la France, au nom de ces valeurs, est un axe central pour promouvoir la démocratie dans le monde, au nom de la supériorité morale occidentale. Ces valeurs sont en réalité des normes de gouvernance du régime politique de la démocratie libérale et non pas les valeurs de civilisation européenne basées sur la chrétienté, car toute civilisation est d’abord issue de  la religion. La crise du modèle de démocratie libérale et multiculturaliste, avec l’élection de Donald Trump et le Brexit en 2016, et la montée de l’attrait pour le modèle de  « démocratie illibérale »  vient contrecarrer ce  processus .

Les néoconservateurs français sont ainsi aussi souvent défavorables au président Trump qui serait un représentant de la « démocratie illibérale »   et sont en phase avec l’État profond américain pour faire revenir Trump dans le sillage néoconservateur sur le modèle politique.

Ils sont donc hostiles aussi à la Russie, et considèrent que la France doit agir en alliance avec les démocraties, y compris en soutenant les changements de régimes.

Or la Guerre froide est finie, mais la Russie est toujours désignée comme l’adversaire stratégique par les États-Unis. Selon ce tropisme, ils placent donc de facto la France comme un sous-élément du Rimland européen, c’est à dire  en alliance idéologiqueet militaire étroite avec les États-Unis. Cette posture ressemble à celle que Jean Monnet privilégiait  dans la configuration de la Guerre Froide. Ils considèrent la Russie mais aussi la Chine  comme des adversaires stratégiques communs aux États-Unis et à la France. Ils privilégient cette alliance avec les États-Unis, que les idées de Trump soient durables ou non sur la question du « mondialisme » car il sont en phase avec les néoconservateurs américains nommés dans l’entourage de Donald Trump pour maintenir un monde unipolaire. Ces néoconservateurs américains ont intérêt à exagérer une menace russe pour maintenir la présence américaine dans le Rimland et empêcher un rapprochement continental entre l’UE et la  Russie afin de  ralentir la multipolarité.

Cette approche est en contradiction avec  ceux que l’on nomme dans le débat français, les « Gaullo-Mitterandistes ». On pourrait les désigner plus précisément de « néo-Gaullistes »  ou  «réalistes ». Ceux qui se situent dans le sillage de l’héritage gaulliste sont les héritiers de ceux qui considèrent la  France avant tout comme une  nation souveraine pratiquant la politique d’équilibre géopolitique, qui fut pratiquée depuis Richelieu jusqu’à de Gaulle. Les alliances  ne sont pas destinées à être immuables mais à élargir la marge de manoeuvre française. La souveraineté ne peut être partagée et l’Etat défend les intérêts de la nation, et se focalise moins sur les valeurs. Même si les États-Unis et la France opèrent étroitement contre la menace terroriste islamiste, les néo-gaullistes considèrent que les doctrines de changement de régimes et la participation de la France à ces opérations, au nom de la vision atlantiste et néoconservatrice de promotion de la démocratie, a eu des conséquences déstabilisatrices sur la sécurité de la France. Ils estiment qu’il serait temps de rétablit un équilibre, et d’inclure la Russie dans l’équation pour la sécurité européenne et vis à vis de la stabilisation de l’arc de crise au sud de l’Eurasie.

Les deux visions, entre néo-conservateurs atlantistes et néo-gaullistes s’opposent et le débat se radicalise depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir qui introduit des grandes incertitudes géopolitiques. Ce débat est aussi issu des conséquences négatives de la politique des « changements de régimes » en Irak, en Libye et la tentative en Syrie, qui ont déstabilisé la proximité géographique de l’UE. Ces évènement sont aussi des facteurs considérés comme  en partie responsables  des vagues d’attentats terroristes islamistes  en France et en Europe.

L’inquiétude par rapport à la souveraineté de la France  en matière numérique, et la base industrielle militaire française et européenne est partagée par les deux tendances.

La présidence d’Emmanuel Macron

Comment se positionne la présidence d’Emmanuel Macron dans ce contexte ?

Au niveau de la doctrine et de l’idéologie, la France et les États-Unis  sont sur une trajectoire divergente. Le président Macron s’est positionné sur un narratif idéologique, dans la perspective des élections européennes mais aussi sur la durée, insistant sur  un antagonisme entre «  progressistes»   et  « nationalistes » qui le mettent en porte à faux avec le positionnement de Donald Trump qui récuse le « progressisme » et le  « mondialisme » .

La promotion du « multilatéralisme » comme doctrine internationale vise aussi à contrer l’  « unilatéralisme » américain. Ainsi la France s’oppose au États-Unis sur la question de l’Iran, puisque Donald Trump a fait sortir les États-Unis de l’accord  sur le nucléaire iranien soutenu par la France et l’UE, mais aussi sur la thématique du climat. La France a aussi déploré le retrait des États-Unis du traité INF sur les armes nucléaire intermédiaires.

La plupart des gouvernements des États membres aussi bien de l’UE que de l’OTAN, y compris la France, s’accrochent à de vieux principes, comme la promotion idéologique du « multilatéralisme » à contrecourant de leur allié principal.

Toutefois sur le plan de la géostratégie, la présidence d’Emmanuel Macon, bien que partiellement divergente au niveau de la politique déclaratoire est bien plus proche des États-Unis qu’il n’y parait.

Le président français défend une « Europe souveraine » et une « autonomie stratégie de l’UE ». Les Français cherchent un plus grand degré d’autonomie pour l’UE, ce qui signifie plus d’indépendance des Européens vis à vis des États-Unis.

Selon cette autonomie stratégique et de défense incarnant une souveraineté européenne, il a proposé un projet de renforcement de la solidarité européenne en matière de sécurité, en donnant plus de substance à l’article 42-7 du Traité sur l’Union européenne de solidarité, invoqué pour la première fois par la France en 2015, après les attentats islamistes de Paris. L’objectif est de faire émerger un plus grande solidarité entre États européens et s’engager sur une défense mutuelle selon l’argument que l’Europe ne peut plus remettre sa sécurité aux seuls  États-Unis selon l’article V au sein de l’OTAN.

Les Européens de l’UE ne semblent en réalité  pas pressés de construire leur autonomie, la France d’Emmanuel Macron oscillant entre européisme déclaratif, et réflexe atlantiste.

Cette timidité est aussi liée au manque d’ambition. Autonomie stratégique ne veut pas dire indépendance. Ces initiatives sont destinées à permettre aux Européen d’agir de manière autonome, mais en restant dans le cadre des priorités géopolitiques des États-Unis.  Si les Européens montraient une réelle ambition de puissance pour l’UE, ils feraient sans doute l’objet d’ une opposition bien plus féroce des États-Unis et se diviseraient. La réaction du président américain Trump qui s’est élevé contre une éventuelle « armée européenne », expression utilisée par Emmanuel Macron et Angela Merkel lors de la commémoration du 11 novembre, est indicateur de la marge de manœuvre réduite de la France et  l’UE. Tant que les Européens ne sont pas prêts à entrer en désaccord  suivis de mesures de contrepoids concrètes et non pas des incantations et demi-mesures, la situation évoluera peu.

La France souhaite aussi conserver et développer une base industrielle de défense nationale et européenne forte. Elle entre directement en concurrence avec les États-Unis qui cherchent  à exporter  leur armement, notamment en exigeant que les Européens augmentent leur contribution à l’OTAN

Le président Macron a aussi proposé une nouvelle architecture européenne de sécurité, en incluant la Russie. Le dialogue se concentrerait sur  la cyber-sécurité, les armes chimiques, les armements classiques, les conflits territoriaux, la sécurité spatiale ou la protection des zones polaires. Toutefois les conditions posées par le président français, une autonomie stratégique de l’Union européenne, et le respect des accords de Minsk par la Russie, constituent des obstacles aujourd’hui insurmontables si l’on en fait des conditions strictes. Cela risque donc de  rester au niveau déclaratoire.

Avec la notion de « souveraineté européenne »  mais couplée à une complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN selon la priorité des Allemands, le président Emmanuel Macron s’est en réalité  rapproché de la conception allemande de l’Europe. Cela signifie aussi  de facto un alignement plus grand sur la vision géopolitique des États-Unis dans le monde puisque les Allemands ne conçoivent pas le projet européen en dehors de la primauté euro-atlantique, en dépit de l’élection de Trump. Malgré une politique déclaratoire sur une plus grande autonomie des Européens la France d’Emmanuel Macron s’éloigne donc de facto de la conception du général de Gaulle de l’indépendance nationale et européenne.

En Asie, le président Macron s’est enfermé dans la stratégie indo-pacifique des États-Unis. Le président français a proposé à l’Inde et l’Australie de travailler à un nouvel axe indo-pacifique stratégique. Il a déclaré qu’il considérait que la France était une puissance indo-pacifique avec les territoires maritimes immenses que la France possède autour des différents archipels français. L’axe stratégique que la France cherche à sécuriser est celui qui va  de l’océan Indien à l’océan Pacifique, en passant par l’Asie du Sud-Est.

Le concept géopolitique des Routes de la Soie promue par la Chine est abordé avec méfiance de la part du président Macron qui ne souhaite pas que ce projet devienne un projet hégémonique, mais il a annoncé être ouvert à d’éventuelles coopérations.

La coopération avec les États-Unis contre les islamistes est une réalité au Sahel. Cependant, l’erreur stratégique qu’a constitué le changement de régime  en Libye sous les présidences Nicolas Sarkozy et Barack Obama  et la tentative de changement de régime en Syrie, a dégradé la sécurité européenne. Ces interventions sont issues de l’influence de la pensée néoconservatrice en France qui a créé un climat favorable à ces  interventions dont le résultat est aujourd’hui très controversé.

Perspectives

Afin de  préserver sa marge de manoeuvre et renouer avec une politique de puissance dans le monde multicentré et fluide caractérisé par les rivalités géopolitiques croissantes, la France devra diversifier ses  alliés.

De plus, une orientation exclusive selon le scénario euro-atlantiste implique pour la France de se positionner dans les limites imposées par les priorités géopolitiques des États-Unis, comme un acteur subsidiaire du Rimland européen et d’agir en conformité ou de s’abstenir. Dans cette configuration, une politique d’équilibre de la France en fonction de sa propre géographie est donc rendue très difficile. Le scénario exclusif euro-atlantiste rend impossible in fine pour les Français et les Européens de décider de leurs propres finalités, faute d’avoir élaboré leurs propres priorités. Ce scénario tendanciel affaiblit la France et les Européens car il fait d’eux une variable d’ajustement de la géopolitique mondiale.

Pour se positionner de manière plus flexible  entre  espaces euro-atlantique, euro-asiatique, euro-africain et euro-arctique, la France a besoin d’une diversification de ses alliances. Cela  signifie que  les   États-Unis resteront un partenaire incontournable mais dans une configuration plus équilibrée. Cela  implique de ne pas fermer à la porte à la Russie ni à la Chine, mais aussi de trouver des alliances plus diversifiées en Europe de l’Ouest, notamment avec l’Italie et le Royaume-Uni, mais aussi en Europe centrale et orientale et dans les Balkans, en plus de l’Allemagne, selon les théâtres et les thématiques. La nécessité d’obtenir un meilleur équilibre avec l’Allemagne en Europe fait aussi de ces pays des partenaires indispensables.

L’émergence des nouvelles forces politiques que l’on nomme « illibérales »  en Europe et aux États-Unis tendent aussi à réhabiliter les priorités  nationales contre les excès de la mondialisation. Elles sont susceptibles de distendre le lien euro-atlantique au profit de relations plus précaires et la généralisation des coalitions de volontaires plus fluides. Or à plus long terme, la position géographique différente des États-Unis et de l’Union européenne est susceptible d’affaiblir inexorablement le lien transatlantique et va à l’encontre du maintien du caractère exclusif du scénario euro-atlantiste. La trajectoire euro-atlantiste entre en contradiction avec l’émergence d’un monde multicentré.

La plupart des partis politiques d’opposition en France, de droite ou de gauche,  sont pour un rééquilibrage vis à vis des États-Unis et de l’Allemagne  et un rapprochement avec la Russie. La méfiance vis à vis de la Chine semble plus partagée.

Lorsque leurs positions  idéologiques sur la doctrine multilatéraliste sera écartée, les Français et Américains trouveront au niveau bilatéral des terrains d’entente.

Au niveau de la doctrine géopolitique, la France serait avisée de revenir à ses propres fondamentaux : réhabiliter le système néo-westphalien et l’Etat-nation,  en alliance avec les  États-Unis de Donald Trump qui y sont attachés, au lieu de s’accrocher à la chimère du supranationalisme et la dilution dans l’interdépendance qui neutralise toute volonté politique.

Dans ce contexte, la relation franco-américaine se concentrera sur des thématiques temporaires qui relèveront  de la Realpoltik dans des coalitions variables. La France possède des atouts pour  la coopération avec les États-Unis comme une armée prête à intervenir et l’arme nucléaire.

Les Français atlantistes qui rêvent de revenir à la situation ex ante  qui prévalait lors de la présidence Obama, et qui anticipent sur la perspective d’une alliance équilibrée entre Europe et États-Unis, avec un dépassement de la nation souveraine dans des instances supranationales et multilatérales comme l’Union européenne, seront inévitablement déçus.

En ce qui concerne sa géopolitique interne, la France va pourtant vivre une fragmentation croissante de la nation, qui risque de l’affaiblir. Les fractures internes qui ont lieu aux États-Unis, entre partisans de la nation et internationalistes émerge aussi en France. Les évolutions sociétales aux États-Unis traversent toujours l’Atlantique pour se répandre en Europe depuis la révolution américaine, avec un temps de retard.

[i] Monnet Jean, « Mémoires », Fayard, 1976, 642 p.

[ii]  Carrère d’Encaussse Hélène, « Le général de Gaulle et la Russie », fayard, 2017, 284 p.

[iii] Roland Dumas, Un projet mort-né : la Confédération européenne, Politique étrangère, année 2001, pp.687-703.  https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_2001_num_66_3_5109

[iv] Kempf Olivier, l’OTAN au XXIème siècle, Editions du Rocher, 20144, 613 p.