Quelles leçons géopolitiques de la Seconde Guerre mondiale faut-il retenir pour surmonter la nouvelle rivalité entre grandes puissances et l’instrumentalisation de l’histoire dans la guerre cognitive ?

Quelles leçons géopolitiques de la Seconde Guerre mondiale faut-il retenir pour surmonter la nouvelle rivalité entre grandes puissances et l’instrumentalisation de l’histoire dans la guerre cognitive ?

Cet article est le texte à partir duquel j’ai basé mon intervention au Forum économique international de St Petersbourg en Russie le 18 juin 2025. dans le cadre du panel  » 80th Anniversary of Victory in World War II: The Allies’ Responsibility to Uphold Peace  » .

Moderator Dmitry Stasyulis, President, International Organization of Eurasian Cooperation; Russia Sherpa, « Civil Twenty »Speakers Eduard Budantsev, Chairman, Bar Association « Dictatorship of the Law » of Moscow Maria Butina, Deputy of the State Duma of the Federal Assembly of the Russian Federation Karin Kneissl, Head, Center G.O.R.K.I. (Geopolitical Observatory for Russia’s Key Issues) SPbU; Minister of Foreign Affairs of the Republic of Austria (2017–2019) Renat Kuzmin, Director of the Institute of Historical and Legal Research, Russian State Social University Grigory Lukiyantsev, Director of the Department of Multilateral Cooperation on Human Rights, Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation; Commissioner of the Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation for Human Rights, Democracy and the Rule of Law (online) Vladimir Sergienko, Publicist, Political Scientist; Presenter, Author of the Radio Program « Eurozone », Vesti FM Pierre-Emmanuel Thomann, President, International Association « Eurocontinent » Denis Ulanov, Deputy Parliament of the Republic of Moldova Boris Chernyshov, Deputy Chairman of the State Duma of the Federal Assembly of the Russian FederationFront row participant Vladimir Platonov, President, Moscow Chamber of Commerce and Industry

La vidéo ici https://forumspb.com/en/programme/business-programme/145502/

Quelles leçons géopolitiques de la Seconde Guerre mondiale faut-il retenir pour surmonter la nouvelle rivalité entre grandes puissances et l’instrumentalisation de l’histoire dans la guerre cognitive ?

Nous observons de la part de certains gouvernements dans les Etats membres de l’OTAN et l’UE, une tendance inquiétante à réécrire, falsifier ou volontairement oublier l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences géopolitiques, notamment la minimisation et l’escamotage de la contribution décisive de l’URSS au sein des alliés pour la victoire contre l’Allemagne nazie et l’unité entre alliés pour façonner un nouvel ordre mondial stable et pacifique, notamment avec la création de l’ONU.

Dans le contexte de la falsification et la réécriture de l’histoire, on a remarqué la non-participation des chefs d’Etat européens aux commémorations du 9 mai à Moscou, mis à part les premier ministres Slovaque et serbe, mais aussi le refus d’inviter des représentants russes aux cérémonies du 6 juin (D Day) en Normandie, l’oubli par le gouvernement français de l’hommage au régiment Normandie-Niemen, unité d’aviateurs créée par le général de Gaulle pour servir dans l’armée rouge et enfin l’encouragement de la résurgence de l’idéologie bandériste néonazie en Ukraine dans la guerre par proxy contre la Russie. Pire, l’URSS est mise fallacieusement sur le même plan que l’Allemagne nazie pour le déclenchement de la Seconde guerre mondiale et l’alliance de la France gaullienne avec l’URSS contre l’Allemagne nazie est escamotée.  Il s’agit d’une inversion du concept d’ennemi.

Pourquoi l’histoire est-elle falsifiée, volontairement oubliée et réécrite ? Elle est le résultat d’un désaccord fondamental sur l’ordre mondial futur et devient une arme de guerre cognitive dans la rivalité géopolitique entre puissances.

La disparition de l’URSS a marqué l’effondrement de l’ordre bipolaire après la Seconde guerre mondiale qui avait été marqué par la stabilité en Europe et l’Occident a cru qu’il imposerait ensuite définitivement son hégémonie unipolaire. Toutefois ce projet a échoué au profit de l’émergence d’un ordre plus équilibré. L’Occident américanisé a commencé à s’affaiblir et la Russie, comme à d’autres périodes de l’histoire, a retrouvé son rôle géopolitique central dans le façonnement de l’ordre mondial (guerres napoléoniennes, Seconde Guerre mondiale, Guerre froide et, aujourd’hui, nouvelle rivalité géopolitique des grandes puissances avec la Russie comme promoteur de la multipolarité). L’Occident, sous direction américaine, pour enrayer l’émergence d’un nouvel ordre mondial plus équilibré, essaie de compenser la relativisation de sa puissance par une guerre cognitive contre les promoteurs du monde multipolaire, la Russie en particulier, héritière de l’histoire glorieuse de l’URSS lors de la Seconde Guerre mondiale, afin de lui nier toute légitimité à façonner le nouvel ordre mondial comme au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.  La Russie, héritière de l’URSS, étant redevenue le centre de gravité géopolitique d’un ordre mondial en mutation vers la multipolarité, elle devient la cible de la guerre cognitive et la falsification de l’histoire par les puissances qui refusent le nouvel ordre mondial plus équilibré.

Les idéologues de l’Europe fédérale et intégrée dont le projet est contesté par les peuples cherchent également un nouvel élan en fabricant un ennemi commun, la Russie. Certains pays qui étaient du mauvais côté de l’histoire lors de la Seconde Guerre mondiale veulent aussi se débarrasser de cet héritage et adopter une attitude revanchiste.

En refusant de s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques, les Etats et gouvernements du système OTAN-UE sous domination des Etats-Unis oublient volontairement les leçons de la Seconde Guerre mondiale, à savoir, la construction après le conflit d’un nouvel ordre spatial qui limite les conflits pour la période suivante (précaire et temporaire mais il n’y a pas d’alternative)

Depuis la fin de la Guerre froide et l’ordre bipolaire issu de la Seconde Guerre mondiale, l’évolution du système international va dériver vers plus d’instabilité, car après la chute de l’URSS et le système bipolaire), un nouveau système unipolaire a été imposé (élargissement OTAN/UE).  La Russie par contrecoup géopolitique, va refuser de disparaitre ou de se dissoudre dans la mondialisation occidentale à la suite de son étranglement par encerclement géopolitique, selon les plans de Washington. (voir carte : le conflit en Ukraine et La stratégie géopolitique des Etats-Unis contre la Russie et la Chine dans le contexte de la nouvelle rivalité des puissances).

Après l’intervention de la Russie en Géorgie et en Ukraine pour enrayer les élargissements de l’OTAN, les acteurs du Grand Occident (Washington-OTAN-UE) cherchent désormais à torpiller l’émergence inéluctable de la multipolarité. Après l’échec de leur plan expansionniste pour structurer l’Eurasie à partie du pole exclusif OTAN-UE, Ils n’acceptent pas de négocier (comme au lendemain de la Deuxième guerre mondiale) un nouvel ordre spatial adapté à la situation actuelle mais qui remet en cause leur hégémonie mondiale et leur rêve unipolaire.

D’où la relecture de l’histoire et la négation de l’apport décisif de l’URSS, pour nier à la Russie un rôle géopolitique central dans le nouvel ordre spatial.  L’angle d’attaque, combiné à la livraison d’armement à Kiev, est la guerre cognitive.

Contenu de l’article
Contenu de l’article

Pourquoi, il est important de garder en mémoire les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale ?

Pour promouvoir à nouveau la stabilité et l’entente entre grandes puissances, et contrer ce nouveau paradigme de guerre hybride contre la Russie, les faits historiques doivent être préservés de la falsification et la réécriture.

Il est important de préserver la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, notamment l’entente entre les alliés de la Seconde Guerre Mondiale, pour négocier entre puissances et reconstruire un nouveau système international basé sur la nouvelle configuration géopolitique, aujourd’hui multicentrée, à l’image de ce qui été créé à la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour maintenir la stabilité. Il a fonctionné en Europe jusqu’à la chute de l’URSS.

Chaque crise majeure de l’histoire est le catalyseur d’un nouvel ordre spatial et d’une nouvelle configuration géopolitique. Chaque ordre géopolitique et ses principaux paradigmes sont précaires et temporaires, mais c’est la seule solution trouvée jusqu’à présent pour stabiliser la situation et maintenir la paix. La configuration géopolitique issue de la Seconde Guerre mondiale était relativement stable jusqu’à la dissolution de l’URSS, en raison du système bipolaire et de la création des Nations Unies. Les grandes puissances ont convenu du nouvel ordre spatial et ont créé des institutions pour le préserver, l’ONU et le Conseil de sécurité.

Aujourd’hui, l’instabilité et les conflits reprennent, car l’opportunisme géopolitique prime et des visions géopolitiques obsolètes persistent dans le monde occidental, qui n’accepte pas le nouvel ordre géopolitique émergent. Une nouvelle configuration géopolitique devrait pourtant être renforcée par de nouvelles doctrines internationales et géopolitiques, à l’instar de celles adoptées à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La fin de l’URSS a entraîné un déséquilibre géopolitique et les leçons du passé n’ont pas été retenues. La réintégration de la Russie en tant que partenaire à part entière sur un pied d’égalité, comme la doctrine du Concert des Nations, promue par Metternich au XIX ème siècle, n’a pas été suivie, car les puissances occidentales en ont profité pour promouvoir un système unipolaire qui s’est traduit du point de vue géopolitique, par les élargissements successifs de l’OTAN, qui ont conduit à des conflits (conflit en Ukraine mais aussi en Géorgie).

La réaction de la Russie pour mettre fin à l’encerclement de la Russie et à sa fragmentation géopolitique définitive a été précédée par de nombreux avertissements des dirigeants de la Russie. Le conflit russo-géorgien, puis le conflit ukrainien, provoqués par l’insistance de l’axe Washington-OTAN-UE-Kiev à élargir l’OTAN et donc encercler la Russie a  abouti à une défaite sur le théâtre ukrainien et sur l’échiquier mondial des capitales occidentales. La conséquence est un renforcement du monde multipolaire. On assiste à la fin de l’ordre géopolitique occidental et euro-atlantiste exclusif.

L’émergence d’une architecture européenne de sécurité alternative.

Aujourd’hui encore, les leçons de la Deuxième Guerre mondiale n’ont pas été retenues, faute d’acceptation par les puissances occidentales de la multipolarité et le nouvel ordre spatial, c’est à dire dire l’impossibilité pour l’OTAN et l’UE de poursuivre leur extension et organiser le continent eurasien à partir de l’idéologie euro-atlantiste exclusive.

Pour promouvoir la stabilité, une nouvelle architecture géopolitique de sécurité déclinée au niveaux européen, eurasien et mondiale est nécessaire. Tant que ce nouvel ordre spatial n’est pas accepté et mis en œuvre, les conflits se propageront à tous les espaces : Balkans, Baltique, Arctique, mer Noire, Caucase et Asie centrale. Il est aussi indispensable de revitaliser l’ONU, car rien ne peut la remplacer à l’échelle mondiale, et retrouver son esprit initial car  elle constitue une innovation fondamentale issue de la Seconde guerre mondiale.  L

L’UE devrait aussi être fondamentalement réformée ou s’effacer  le projet européen devra aussi choisir entre deux options géopolitiques (voir carte : Options géopolitiques européennes) soit rester une périphérie géopolitique dans un grand Occident sous direction américaine, avec fracture européenne et risque de condominium américano-chinois, soit une configuration plus équilibrée avec un rapprochement continental européen basé sur une Europe des nations souveraines, l’équilibre géopolitique et l’appartenance multiple aux différents espaces géopolitiques de coopération.  C’est la voie indispensable pour d’éviter une nouvelle guerre froide (promue par les puissances occidentales), ou pire, des conflits permanents dans tous les espaces géopolitiques qui se propagerait à tous les conflits régionaux. L’UE qui porte le projet européen est aujourd‘hui obsolète car elle ne conçoit pas autrement qu’un Rimland, un sous-ensemble de l’espace euro-atlantique sous hégémonie américaine contre la Russie.  Pour réformer le projet européen dans ses fondements. l’UE devrait aussi être profondément réformée, ce qui est le scénario le moins probable tant qu’elle se considère complémentaire à l’OTAN et donc inféodée à Washington ou s’effacer pour laisser place à d’autre arrangements basés sur des coalitions plus restreintes qui porterait une volonté géopolitique indépendante.

Contenu de l’article

Seule l’acceptation d’un ordre multipolaire plus équilibré, fondé sur l’inclusivité et l’indivisibilité, pourrait servir de base au bon fonctionnement des négociations multilatérales au sein des organisations internationales et à une interprétation commune du droit international.

Les principes de souveraineté, d’équilibre géopolitique, d’acceptation de la diversité des civilisations, coopération multivectorielle, adhésion multiple aux organisations internationales sont incontournables pour une stabilisation des rivalités géopolitiques qui se renforcent aux différentes échelles de l’espace mondial et dans les domaines terrestre, maritime, aérien, spatial, cybernétique, de l’espace-temps de l’Intelligence artificielle et la cerveau humain comme cible de la guerre cognitive.

Pour réussir, il est essentiel de préserver la mémoire historique et d’éviter toute réécriture de l’histoire. C’est la création et l’organisation d’un monde multiple et de l’acceptation de la diversité des civilisations et donc des visions du monde, qui pourra assécher la tentative unilatérale occidentaliste de réécrire l’histoire pour un projet géopolitique unipolaire obsolète.

Cela implique, aussi l’acceptation de nouvelles réalités géopolitiques et de nouvelles frontières, mais aussi un nouveau système d’organisations internationales pour consolider l’ordre géopolitique multipolaire. Ainsi, à l’instar de la Seconde Guerre mondiale, les puissances insérées dans ce nouvel ordre plus stable pourraient identifier les défis et menaces communes auxquelles elles font face.

Un nouveau traité de sécurité européen, dans le contexte d’une multipolarité mondiale et européenne émergente est nécessaire

Il existe un chaînon manquant dans l’architecture de sécurité européenne,(Voir carte : Le chaînon manquant de la sécurité européenne) qu’il convient de corriger afin d’éviter une nouvelle fragmentation du continent européen entre les alliances euro-atlantique et euro-asiatique. Il faut également considérer qu’un élargissement des institutions euro-atlantiques (OTAN, UE et OSCE) à l’ensemble du continent eurasien est impossible. Premièrement, ces élargissements sont devenus impossibles avec l’opposition de la Russie. Deuxièmement, les États membres de l’UE et de l’OTAN sont en désaccord sur un nouvel élargissement. Troisièmement il serait de toute manière impossible pour ces institutions euro-atlantiques de gérer la diversité géopolitique du continent eurasien.

La solution pour combler ce chaînon manquant dans l’architecture de sécurité européenne repose sur le principe du « resserrement géographique », compte tenu des capacités tendues de l’OTAN et de l’UE. La proximité géographique serait un critère essentiel pour construire des alliances régionales afin de favoriser la stabilité et d’empêcher une nouvelle fragmentation eurasienne. Un nouvel « espace de sécurité » allant de Lisbonne à Vladivostok constituerait le cercle intérieur de l’espace de sécurité allant de Vancouver à Vladivostok. Dans cette configuration, un projet européen renouvelé (réforme nécessaire  de l’UE ou création d’une coalition plus restreinte de nations européennes portés par un projet géopolitique souverain) jouerait le rôle de pivot/centre politique et la Russie celui de pivot/centre politique voisin, au carrefour d’espaces de sécurité qui se chevauchent : de Vancouver à Vladivostok (OTAN et OSCE, États-Unis-UE-Russie), de Lisbonne à Vladivostok (UE-Russie), de Saint-Pétersbourg à Pékin (OCS) et de Minsk-Duchanbé (OTSC). Des politiques de stabilisation et des accords de non-agression devraient être négociés entre ces espaces géopolitiques. Ce réseau d’institutions s’apparente à des « cercles olympiques ». La configuration décrite serait adaptée au monde multipolaire émergent afin de maintenir un équilibre entre les différents États, alliances et institutions politiques et de sécurité. Cette architecture vise à promouvoir les synergies entre des organisations interdépendantes telles que l’OTAN, l’UE, l’OSCE, l’OCS et l’OTSC et devrait conduire à une plus grande stabilité. On peut imaginer aussi la création d’une nouvelle institution exclusivement pan-européenne (les paradigmes du Conseil de l’Europe étant aujourd’hui obsolètes pour une entente avec la Russie) et visant à consolider une nouvelle architecture européenne de sécurité.

Contenu de l’article
Contenu de l’article